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Paris même, non pas certes toute l’étendue, ni la variété, et encore moins la puissance du génie de Zurbaran, mais quelques-uns de ses traits les plus originaux.

Prenons, par exemple, le meilleur de nos deux tableaux, la Controverse entre saint Pierre Nolasque et saint Raymond, et observons d’abord cette extrême simplicité, cette absence de toute convention et de tout lieu-commun dans l’ordonnance comme dans la conception même du sujet. Les deux saints, en face l’un de l’autre, celui-ci à droite, celui-là à gauche de la toile, l’évêque assis, le moine debout, discutent entre eux, à la fois graves et animés comme deux clercs de Sorbonne ; et en arrière, dans le fond, une foule d’auditeurs, moines ou laïques, les écoutent avec une vive curiosité.

Que voilà bien un tableau comme on les aime aujourd’hui ! Point de drame, point de sentiment, point de littérature. Une petite scène sans caractère et à peine indiquée ; c’est bien ce que l’on demande, n’est-ce pas ? Seulement, sur un canevas si léger, il faut appliquer une bonne peinture, et il faut éveiller l’intérêt par des figures vivantes et vraies. Et c’est là le triomphe de notre artiste. Non-seulement les deux saints ont une physionomie individuelle et bien humaine, mais toutes ces têtes d’auditeurs qui vous regardent, pressées les unes contre les autres, rougeaudes ou blêmes, béates ou malicieuses, sont autant de portraits animés. Et quel art caché dans cette composition familière ! Ce groupe s’enlève sur un fond lumineux d’architecture, qui donne le relief et la vie à tout l’ensemble. La tonalité générale du tableau, un peu grise, ne messied pas au sujet. Point d’ombres fâcheuses d’ailleurs : une lumière franche et également répandue, où quelques demi-teintes suffisent à accuser les plans. Et, comme l’ensemble, ces détails d’exécution sont marqués de l’empreinte la plus personnelle.

On a parlé de sécheresse. A coup sûr, ce n’est point une peinture grasse. Mais n’y a-t-il pas là une harmonie secrète avec la dignité du sujet ? harmonie dont toute l’Italie de la renaissance, sauf Venise, a donné l’exemple. En peinture, comme en musique, il faut à l’art religieux une certaine sobriété dans ses moyens extérieurs. D’ailleurs, il est peut-être plus facile d’empâter que d’obtenir de grands effets par une touche légère et presque transparente. Voyez, par exemple, quelle souplesse et, pour ainsi dire, quelle vie dans ces étoffes, sans autre procédé que de larges plans obtenus, pour ainsi dire, d’un seul jet et d’une seule coulée de brosse, mais avec une sûreté et une précision admirables.

On trouve, dans l’autre tableau du Louvre, les Funérailles d’un évêque, plus de mouvement et de pathétique, mais aussi des défauts, une certaine confusion dans l’ordonnance et une