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diplomate étranger se plaisait, dans un esprit dénigrant, à apprécier nos affaires, il l’interrompait aussitôt en lui parlant de celles de son propre pays ; la leçon manquait rarement son effet. « Un plénipotentiaire, dit La Bruyère, doit être vif et grand parleur, pour faire parler les autres, pour empêcher qu’on ne lui parle de ce qu’il ne veut pas, de ce qu’il ne doit pas savoir. »

M. de Varenne avait la finesse et l’accent traînard du Bourguignon ; il aimait et comprenait les affaires ; mais, vieux et podagre, il ne pouvait que les suivre et les diriger de son fauteuil ; il y passait ses journées, emmailloté dans des couvertures ; aussi attendait-il avec impatience le secrétaire qui devait être à la fois « son conseiller et son confident. » Il m’installa dans un petit appartement à côté du sien ; nous n’étions séparés que par un vestibule. Je ne m’appartenais plus ; il avait mis l’embargo sur ma personne. Voué aux insomnies, il n’avait aucune commisération pour le sommeil d’autrui. Rarement ma lampe s’éteignait avant minuit, et cependant, dès six heures, et souvent avant, il frappait à coups redoublés à ma porte : « Allons, cher ami, me disait-il, avec une bonhomie féroce, en chatouillant ma fibre patriotique, levez-vous, ce n’est pas en dormant qu’on sert son pays. » Il est vrai qu’il me dédommageait de la sévérité de ce régime par d’excellens procédés et une absolue confiance.

Les représentans des grandes puissances doivent avoir à leur service une clientèle, « des familiers, pour savoir ce qui se fait dans les ministères, ce qui se dit dans le corps diplomatique. C’est moins par de fastueuses réceptions qu’ils y arrivent que par une table recherchée, toujours ouverte. Le baron de Varenne avait à cet égard d’excellens principes, tirés des bonnes traditions : son cuisinier était parfait, ses vins remarquables. Il croyait à la vertu des truffes et du vin de Champagne en politique. Il dédaignait les frivoles et les mondains ; ses invitations ne s’adressaient qu’aux gens utiles, aux fonctionnaires qui sont au courant des affaires, aux chambellans qui racontent les menus faits de la cour, et surtout aux représentans des petits états, toujours disposés à payer l’écot d’un bon dîner par une information ou par la communication d’un document. Nous en avions plus d’un à notre dévotion ; ils ne croyaient pas manquer à leurs devoirs, en révélant à la France, qu’ils tenaient pour la protectrice éventuelle de leur autonomie, ce qu’on lui cachait. L’Allemagne n’était pas en 1852 ce qu’elle est aujourd’hui ; les cours allemandes se méfiaient de la Prusse, comme la souris du chat ; elles cherchaient à se prémunir contre ses convoitises en nous les signalant.

La tâche de la diplomatie française au lendemain du coup d’état était ingrate. Elle représentait un état de choses mal défini,