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à ces caprices, de les dominer, de les contenir. Loin de là ; par la nature même de son origine, l’état moderne multiplie en quelque sorte et prolonge pendant quatre ans ou cinq ans un engouement momentané. L’état moderne représente la nation à peu près comme la photographie instantanée représente un cheval qu’elle saisit au galop et qui reste pour elle éternellement galopant. Aussi la législation chez les états modernes va-t-elle presque toujours plus loin que ne le désirerait l’opinion publique, devenue rassise après l’excitation des élections. De là vient que souvent une chambre est suivie d’une autre qu’anime un esprit contraire ; ainsi s’expliquent également la contradiction fréquente, le démenti presque immédiat qu’en tout pays les élections partielles infligent aux élections générales. La législation dans les états modernes est, de toute nécessité, presque toujours outrée, soit dans le sens de l’action, soit dans le sens de la réaction. Les trois quarts du temps d’une législature sont employés à de faire ce qu’a fait la législature précédente ou l’avant-dernière. A cette intempérance et à cet excès de législation, il y a deux remèdes : le premier, c’est l’obstruction dans le sein du parlement ; le second, c’est le referendum, ou la ratification par le corps électoral entier des lois importantes que les chambres viennent de voter. On n’appréciera jamais assez les énormes services que l’obstruction parlementaire rend aux nations ; elle assure leur repos et la continuité de leurs conditions d’existence ; pour une bonne mesure peut-être dont elle retarde l’adoption, il en est neuf mauvaises ou inutiles qu’elle rejette dans les limbes. Le célèbre massacre des innocens auquel se livre, dans les derniers jours de la session, le parlement anglais, est le plus souvent la meilleure œuvre de la session. De même l’on aurait tort de se départir en France, comme on l’a proposé, de la pratique qui rend caduques toutes les propositions qui, à l’expiration des pouvoirs d’un parlement, n’ont été votées que par une seule chambre. On a beaucoup parlé du « surmenage » scolaire, mais pas assez du « surmenage » parlementaire, qui est bien plus réel et plus dangereux. Contre le « surmenage » scolaire, on a pour garantie ou pour refuge l’heureuse faculté d’inattention dont jouissent les enfans ; leur corps est présent à la classe, leur esprit en est souvent absent ; contre le « surmenage » parlementaire, on a pour refuge et pour garantie l’heureuse obstruction, si calomniée, avec tous ses procédés, soit ingénieux, soit naïfs. Il faudrait, cependant, à une société démocratique qui veut être sérieuse, un autre frein, le referendum, ou la sanction populaire aux lois principales : le referendum est l’arme défensive que les sociétés doivent toujours garder en réserve contre les entraînemens de leurs mandataires irrévocables.