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celui-ici : Homo homini ovis. Cette prévoyante sagesse pourrait bien anticiper de toute une série de siècles sur l’avenir. Les raisons de querelles survivent, quoi qu’on en dise, entre les peuples modernes : questions de frontières, questions de commerce mal comprises, questions d’infiltration des étrangers d’un pays dans un autre et du régime qui leur est fait, questions de densité inégale de population et de diversité de richesse des territoires. Puis, à l’intérieur même, le frémissement des appétits des diverses classes sociales, leurs ambitions pour une vie large et oisive, les convoitises qu’excite le pouvoir, voilà bien des raisons, ce semble, pour qu’on ne considère pas comme suranné l’appareil militaire dont le maintien et l’affermissement ont été longtemps considérés comme la principale fonction de l’état.

La sécurité pour les particuliers et leurs droits ne vient qu’au second rang, après la sécurité pour la nation elle-même. Ce service s’est singulièrement développé chez les peuples modernes. Il est infiniment plus vaste qu’on ne le suppose au premier coup d’œil. Il s’accroît en intensité et en précision ; il varie, en outre, à l’infini. En tant qu’intensité, on peut juger par les quelques chiffres qui suivent de la diversité des efforts faits à diverses époques. Au milieu du XVIe siècle, en 1539, le guet de Paris se composait d’une compagnie, comprenant 20 sergens à cheval et 40 à pied. Sous Henri II, en 1559, il s’était développé et comptait 260 hommes, dont 32 à cheval. Il se compose, sous Colbert, de 120 cavaliers et 160 fantassins ; sous Louis XV, en 1771, le nombre des premiers s’élève à 170 et celui des seconds à 870. Aujourd’hui, d’après les comptes de la ville de Paris, les divers services de sécurité municipale occupent plus de 10,000 hommes, gardiens de la paix, gardes municipaux, pompiers, etc. C’est onze fois plus qu’à la fin du XVIIIe siècle ; la population a, il est vrai, un peu plus que quadruplé. La loi économique que, avec le développement de la population, chaque service devient moins coûteux, n’a pas trouvé ici d’application. Elle a été tenue en échec par deux autres lois : l’une, que plus une agglomération humaine est grande, plus les tentations aux crimes et aux délits et les facilités d’en accomplir s’accroissent ; l’autre, que, plus la population est civilisée, policée, plus elle devient exigeante dans ses raffinemens, s’irritant contre chaque trouble, chaque retard, chaque gêne, que les peuples primitifs supportent avec impassibilité.

Le service de la sécurité s’est également beaucoup accru en variété : il s’étend à une foule d’objets autres que la protection immédiate des personnes et des biens. Il se fait souvent préventif et s’efforce d’éloigner les dangers communs, comme les épidémies ; il