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sert à l’ouvrier à se procurer la subsistance et celle qui est consacrée à accroître le profit du capitaliste. Dans quel rapport de durée se trouvent ces deux portions de la tâche quotidienne ? Karl Marx n’a pas craint de l’indiquer. Il établit qu’en général 6 heures suffisent à procurer à l’ouvrier sa subsistance et celle de sa famille ; le reste de la journée d’usage, de 10 ou 12 heures, est extorqué par le capitaliste sans rémunération pour le travailleur, d’où un taux d’exploitation variant de 60 à 100 pour 100 au profit du patron. Mais ce n’est pas tout : chaque progrès fait dans la productivité du travail, les inventions nouvelles, les machines, les procédés perfectionnés, au lieu d’accroître parallèlement le gain des deux facteurs de la production, favorise exclusivement le capital. En effet, la part du travail est strictement limitée par la loi d’airain à la subsistance de l’ouvrier ; donc tout le surcroît provenant des conditions plus favorables de la production, machines, division du travail, etc., va à l’autre partie prenante, c’est-à-dire au patron. De là l’écart croissant entre le bien-être des classes riches et la misère des classes laborieuses, écart admis par les socialistes comme un fait incontestable, qu’on ne se donne même plus la peine de vérifier. Au contraire, une fois lancé sur cette voie, on va de déduction en déduction, et les disciples, forçant la pensée du maître, arrivent à des exagérations saisissantes, sans se laisser troubler dans leur élaboration logique par l’aspect paradoxal des résultats auxquels elle les conduit. C’est ainsi, par exemple, qu’un journal collectiviste français, l’Égalité, reprenant les idées de Karl Marx, prétend vérifier par le détail les conclusions de l’auteur allemand et les préciser pour chaque cas particulier de l’organisation industrielle. Karl Marx, on l’a vu, s’était contenté d’établir un chiffre moyen pour la durée de la corvée ou prélèvement arbitraire du capital dans les fabriques en général ; actuellement on a l’ambition de chiffrer le nombre d’heures qui, dans chaque genre de métier, constitue le profit illégitime du chef d’entreprise : dans l’industrie textile, la corvée est de 7 heures 29 minutes sur 12 heures de travail ; dans l’industrie du cuir, de 8 heures 48 minutes ; elle monte à 9 heures 7 minutes dans l’industrie du bois ; 9 heures 45 minutes dans celle des produits chimiques et à 9 heures dans le bâtiment[1]. Nous ferons grâce au lecteur des calculs cités à l’appui de cette démonstration. Ils ne résistent pas à l’analyse même la plus sommaire. Sans se perdre dans des minuties de ce genre, mais résumant à grands traits les argumens de ses devanciers et condensant en quelques lignes d’innombrables protestations

  1. Voir M. Leroy-Beaulieu, le Collectivisme, p. 241.