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4,835,782 fr. 40, les malades ont coûté 13,344,720 francs. Les pertes de notre armée ont été de 95,615 hommes, dont 20,000 tués à l’ennemi ou décèdes des suites de leurs blessures, et 75,000 morts de maladies ; c’est presque le quart de l’effectif[1].

À cette époque, le service médical des armées dépendait de l’intendance. Cette anomalie, qui a été souvent préjudiciable à la santé des troupes, a persisté jusqu’à la loi du 16 mars 1882. Les prétentions de l’intendance étaient excessives et n’allaient à rien de moins qu’à exiger la haute main sur l’opportunité des opérations militaires. Ceci cessera de paraître un paradoxe si l’on consulte le Cours d’administration militaire de M. Vauchelle, dans lequel il est dit, à la page 13 du tome III : « Le général subordonne ses plans et ses opérations militaires aux possibilités de l’administration. Le mépris ou l’oubli de cette règle admirable constitue le plus grave reproche que l’on puisse adresser à nos dernières guerres. » On peut, d’après cela, juger de l’attitude que l’intendance gardait envers les médecins militaires. Ceux-ci, semblables aux conseils généraux, ne pouvaient émettre que des vœux ; toute initiative leur était interdite ; nulle amélioration dans leur propre service ne leur était permise ; leurs demandes, leurs réclamations les plus légitimes devaient être adressées à l’intendance, qui en tenait compte « selon les possibilités de l’administration. » — » Ces possibilités » n’étaient que peu propices aux réformes ; les requêtes des médecins militaires, de ces humbles majors qui, vivant dans la familiarité du soldat, connaissant ses besoins qu’ils ont étudiés, n’ont d’autre but que de sauver les hommes et de les maintenir dans des conditions d’existence acceptables, restaient le plus souvent infructueuses et laissaient les choses en l’état déplorable que démontra la guerre de Crimée, sans résultat pour des modifications que l’expérience aurait dû imposer.

L’Angleterre, où le respect des vieilles institutions sait s’allier aux progrès commandés par la nécessité, nous a donné en Crimée même, côte à côte avec nous, sous nos yeux, un exemple dont nous aurions dû profiter, et qu’il n’est point superflu de rappeler. Pendant le premier hiver, devant Sébastopol, les Anglais perdent 5.79 pour 100 sur l’effectif et 22.23 pour 100 sur le nombre des malades, tandis que nous ne perdons que 2.31 pour 100 sur l’effectif et 12.16 pour 100 sur les malades. Notre administration triomphe et s’applaudit ; mais l’Angleterre s’émeut, et elle envoie

  1. Rapport au conseil de santé des armées sur les résultats du service médico-chirurgical aux ambulances de Crimée et aux hôpitaux militaires français en Turquie, par J.-C Chenu, médecin principal, 1 vol. in-4o. Paris, 1865.