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qui se prosterna devant Christine en la conjurant « par les plaies du Sauveur » d’avoir miséricorde. Elle, « le visage serein et sans altération,.. lui témoigna combien elle était fâchée de ne pouvoir lui accorder sa demande. »

Cela dura une autre heure. Pendant une autre heure, le malheureux refusa de se résigner. Il commençait à se confesser, et puis l’angoisse était trop forte. Il criait, il suppliait qu’on retournât encore une fois. L’aumônier de la reine étant survenu, il se jeta sur lui comme sur un sauveur et l’expédia chez la reine. Ce fut ensuite Sentinelli, qui retourna implorer cette barbare. Christine se moquait du « poltron » qui avait peur de la mort, et elle congédia Sentinelli avec ces mots horribles : « Afin de l’obliger à se confesser, blessez-le[1]. » Sentinelli rentra, « poussa » Monaldeschi « contre la muraille du bout de la galerie, où est la peinture Saint-Germain[2], » et lui porta un premier coup. Monaldeschi n’avait pas d’armes. Il para de la main, et trois doigts tombèrent sur le plancher. Le misérable reçut tout sanglant l’absolution, et une boucherie dégoûtante commença. Le marquis avait une cotte de mailles que les épées ne purent percer. Ses bourreaux le lardèrent au visage, au col, à la tête, où ils purent. Percé de coups et n’en pouvant plus, Monaldeschi entendit ouvrir une porte, aperçut l’aumônier et reprit espoir. Il se traîna jusqu’à lui en s’appuyant au mur et le renvoya encore demander sa grâce. Tandis que le prêtre sortait, Sentinelli acheva sa victime en lui perçant la gorge. Il était trois heures trois quarts.

L’effet produit sur le public fut irrémédiable. Les cœurs se soulevèrent d’horreur. Tant de cruauté froide, pour un homme qu’elle avait aimé, parut une chose sauvage. On ne se représentait pas sans une sorte d’épouvante cette jeune femme causant de futilités, à deux pas du lieu où son ami se débattait et agonisait, s’interrompant poliment pour refuser sa grâce et reprenant son discours avec sérénité. Que de fois, pendant le reste de sa vie, on lui jeta la mort de Monaldeschi à la face ! Elle ne comprit jamais ce qu’on pouvait lui reprocher.

A la nouvelle du meurtre, Mazarin dépêcha Chanut à Fontainebleau pour engager la reine de Suède à ne point paraître à Paris, de peur du peuple. On a retrouvé, il n’y a pas longtemps[3], la réponse de Christine au cardinal. La lettre est de sa main, écrite de travers avec un air de furie, tachée d’encre et presque illisible :

  1. Motteville.
  2. Relation du père Le Bel.
  3. La lettre a été retrouvée aux archives du ministère des affaires étrangères, par M. A. Geffroy, qui l’a publiée dans le Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France en Suède. Paris, 1885.