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Russie avaient fait escale en route ; on les avait communiquées à Vienne et à Berlin avant de les expédier à Paris. L’empereur Nicolas jouait cartes sur table. Il n’avait pas de secrets pour ses alliés, qui l’abandonnaient sous main.


XI. — LA RÉCEPTION DES TROIS ENVOYÉS DU NORD AUX TUILERIES.

On touchait au dénoûment. Le 2 janvier, les trois envoyés se présentèrent successivement chez M. Drouyn de Lhuys. Ils venaient lui soumettre, suivant l’usage, la copie figurée des lettres qui devaient les accréditer auprès de la personne de l’empereur. Ils lui donnèrent aussi lecture d’une dépêche qui leur était personnellement adressée, et dans laquelle leurs cabinets se livraient, à propos du sénatus-consulte et du plébiscite du 7 novembre, à une discussion historique. La dépêche se bornait à constater que le rétablissement de l’empire et les conditions dans lesquelles il s’était opéré étaient des événemens d’ordre intérieur particuliers à la France et n’engageant qu’elle seule. — C’est à l’émission de cette doctrine, n’avant rien de contraire à celle professée par nous-mêmes à l’égard des puissances étrangères, que se réduisaient leurs protestations. La montagne accouchait d’une souris, après un long et douloureux enfantement.

On se demandait, non sans inquiétude, dans toutes les capitales, ce que ferait l’empereur Napoléon. Accepterait-il, ou refuserait-il les lettres de créance de l’empereur Nicolas, conçues, disait-on, dans des termes d’estime et d’affection, mais ne contenant pas l’appellation de frire consacrée dans les rapports officiels entre têtes couronnées.

M. Drouyn de Lhuys, sans engager les décisions de son souverain, s’expliqua à cœur ouvert, en termes trop vifs peut-être, avec M. de Kisselef, qui attribuait l’omission à la différence des principes servant de base aux deux gouvernemens ; « la Russie, disait-il, ne demande pas à la France plus qu’elle ne lui donne. » — « Vous ne réclamez pas, dites-vous, de l’empereur des Français, plus que votre souverain lui donne, et vous appelez cela de la réciprocité, répondit le ministre ; mais c’est là une erreur manifeste. En quoi consiste la réciprocité ? Dans l’accord réciproque. Dès que cet accord n’existe pas, il n’y a, d’une part, qu’un acte individuel, et, de l’autre, des représailles. Ce n’est point alors la loi de la réciprocité, c’est celle du talion qui règle les rapports. La loi qui règle le cas actuel, c’est l’usage, et l’usage prescrit aux souverains de se traiter en frères. Ne pas se conformer à cette prescription, c’est manquer à la règle établie. Quels sont les interprètes naturels des traditions ? Ce