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nouvelle de l’histoire : ils considèrent l’arrivée de l’empereur Guillaume à Rome comme un de ces événemens faits pour être célébrés par tout l’univers civilisé, destinés à inaugurer « une période historique qui se superpose à toutes les autres et les abroge. » A entendre certains Italiens à l’imagination complaisante, on dirait que Guillaume II va à Rome pour ressaisir une suzeraineté qu’on est impatient de lui rendre, pour consacrer d’un commun accord avec l’Italie la victoire définitive de l’empire sur la papauté. Voilà bien des fantasmagories pour la visite d’un prince qui en allant à Rome auprès d’un allié n’a sûrement pas toutes les intentions qu’on lui prête, qui commence par passer sa première journée au Vatican, et a même pris soin de faire venir de Berlin ses chevaux, ses voitures pour aller dans ses propres équipages auprès du saint-père, dont il entend ménager les susceptibilités et la dignité.

Que les chefs officiels de l’Italie, un peu étourdis de leurs grandes liaisons, ne voient plus que l’Allemagne et poussent l’enthousiasme jusqu’à l’obséquiosité dans la réception qu’ils font à l’empereur Guillaume, ils sont libres, c’est leur affaire. Le danger pour eux est de ne Voir que ce qu’ils désirent, de tout sacrifier à un rêve de grandeur qu’ils prennent pour une réalité, et, pour tout dire, de se faire quelquefois plus Allemands que les Allemands dans leur politique. Entre la France et l’Allemagne, il peut y avoir sans doute, il y a certainement des questions délicates : c’est la force des choses qui les suscite, et le plus souvent, les gouvernemens les traitent avec une extrême réserve. Où sont les questions sérieuses qui peuvent diviser l’Italie et la France ? Où est la raison précise et avouable qui peut pousser les politiques italiens à grossir sans cesse les plus médiocres incidens, à soulever à tout propos des querelles aussi vaines que fatigantes, à organiser une fronde contre la France ? Un jour, c’est à l’occasion d’une question de Massaouah qui n’avait rien de sérieux et qui n’a pris quelque importance que par le retentissement qu’on lui a donné, par les polémiques acrimonieuses du premier ministre de Rome ; un autre jour, c’est au sujet d’un règlement sur les écoles à Tunis. Il n’y a que quelques semaines, c’est à propos de la convention sur la neutralisation de Suez qu’un diplomate par trop zélé à Constantinople s’est passé la fantaisie d’exciter le sultan à mettre en doute nos établissemens du nord de l’Afrique ; presque chaque jour, c’est à propos du traité de commerce qu’on bataille. Les politiques italiens ne voient pas qu’ils finissent par tomber dans une véritable puérilité en cherchant partout l’hostilité de la France, en voyant dans tout ce que fait la France l’intention de troubler l’Italie. Vainement on leur montre que la France, en sauvegardant ses intérêts là où ils peuvent être engagés, ne cherche des querelles avec personne, qu’elle ne s’émeut même pas toujours de celles qu’on lui fait très gratuitement : ils sont obstinés dans leur idée