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continua de passer à Paris en toute liberté. « Enfin, dans les derniers jours de novembre, raconte très gaîment Mme de Chateaubriand, voyant que les réparations de notre chaumière n’avançaient pas, nous prîmes le parti d’aller les surveiller nous-mêmes. Nous arrivâmes le soir à la Vallée-aux-Loups par un temps épouvantable : les chemins du côté d’Aulnay, très difficiles en tout temps, sont impraticables dans la mauvaise saison. Nous entrâmes par une grille qui n’est pas l’arrivée ordinaire. La terre des allées, fraîchement remuée et démêlée par la pluie, empêchait les chevaux d’avancer, et, par un effort qu’ils firent pour dégager les roues des ornières, la voiture versa. Nous ne nous fîmes aucun mal. Mais Homère, que je tenais dans mes bras, passa par la portière et se cassa le cou. »

M. de Chateaubriand ne tarda pas à se prendre d’un goût très vif pour la Vallée-aux-Loups, pour « sa chère Vallée. » Son talent, réveillé et comme rafraîchi par le voyage d’Orient, se déployait dans l’Itinéraire, dans les Martyrs, dans le Dernier Abencérage, Et puis, il était plus entouré, plus adulé que jamais : les visites se succédaient sans interruption à la Vallée; on était retenu à dîner, on demeurait à coucher. En dehors de ceux qu’un sentiment d’amitié vraie y conduisait, il était de bon ton, dans le monde qui commençait à fronder l’empire, de fréquenter chez M. de Chateaubriand exilé; c’était une opposition peu dangereuse : on allait à Aulnay comme, trente-sept ans plus tôt, on fût allé chez le duc de Choiseul à Chanteloup.

L’exil, d’ailleurs, fut de courte durée, moins d’un an, et, dès l’automne de 1808, M. et Mme de Chateaubriand revinrent s’établir à Paris, conservant la Vallée-aux-Loups comme résidence d’été.

Les années qui suivirent durent être, j’imagine, une continuelle et lassante épreuve pour la vicomtesse. C’était le temps, en effet, où « René » recueillait ses plus grands succès : sa renommée littéraire s’était encore accrue, son prestige mondain était à l’apogée. Il marchait dans une sorte de songe glorieux, entouré d’hommages, comblé d’honneurs et de flatteries, assiégé d’instances passionnées, se donnant à toutes les femmes qui s’offraient à lui, ne cherchant dans leur amour qu’une occasion de les troubler et de sentir qu’il les enchantait. Il allait ainsi, s’absentant pendant des mois entiers, de Méréville au château de Fervaques, de Fervaques au château d’Ussé, partout où l’appelait quelque attachement ancien ou quelque intrigue nouvelle. Mme de Chateaubriand semblait n’exister plus pour lui.

La vie conjugale n’eût peut-être pas duré, à ce train de bonnes fortunes, si les événemens de 1814 n’avaient jeté brusquement