Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/765

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

merveilleuse, comme il convenait pour le chantre des Saisons, un des dirges les plus exquis qu’il y ait dans la littérature anglaise.

Cette mort de Thomson fut la première des deux occasions où Collins rompit le silence qu’il gardait depuis ses Odes. Voici la seconde. Parmi ses connaissances se trouvait un certain Barrow, whig renforcé, qui avait fait, eu compagnie du poète écossais John Home, la triste campagne de guerre civile de 1745, où il avait eu une aventure particulièrement périlleuse, une évasion forcée au moyen d’une corde qui finissait à trente pieds au-dessus du sol. En 1749, Home étant venu à Londres pour négocier avec Garrick la représentation de cette tragédie de Douglas si fameuse en son temps, Barrow le présenta à Collins. Les conversations de ce confrère écossais sur les mœurs, les traditions, les croyances populaires de son pays natal intéressèrent vivement le poète, dont l’imagination, au rapport de Johnson, avait toujours été passionnément éprise de merveilleux et particulièrement studieuse des œuvres où il pouvait se rencontrer. Pour conserver le souvenir de ces conversations, Collins écrivit une épitre à Home qui est le pendant de celle qu’il avait adressée autrefois à Hanmer sur Shakspeare, mais plus belle encore et de plus grande portée. Ce n’est rien moins, en effet, qu’une poétique nouvelle dont il jette les fondemens en passant en revue les diverses superstitions écossaises et en montrant la parti que la poésie en pouvait tirer. Cette épître prophétique de tant de futurs chefs-d’œuvre, depuis le Tam O’Shanter de Burns jusqu’aux romans et aux poèmes de Scott, resta inconnue de tout le monde, sauf des Warton, à qui Collins la lut en 1754, dans un des intervalles de sa folie, et ne fut révélée que nombre d’années après sa mort par le brouillon que Home en avait emporté en Écosse. A son irrésolution et à son intermittence de verve, le pauvre Collins semble avoir ajouté un troisième moyen de se nuire, c’est-à-dire un don particulier pour cacher ou perdre ce qu’il faisait. Une ode sur la musique en Grèce, dont la seule lettre qui reste de lui par le comme achevée à cette époque, n’a jamais pu être retrouvée.

Cette longue et remarquable épître à Home montre qu’à cette date de 1749 le poète avait encore toute sa force, et que le silence qu’il avait gardé n’était pas d’impuissance. Il avait alors vingt-huit ans et pouvait se promettre, en dépit de ses échecs, une longue carrière poétique. Il le pouvait d’autant mieux que son oncle, le colonel Martyn, venait de mourir, le laissant héritier de sa fortune pour une part qui s’élevait à 2,000 livres sterling. Les jours de pénurie étaient donc passés ; il allait désormais se livrer à son inspiration, sans souci de savoir si elle répondrait au goût de l’acheteur; il allait travailler activement à cette fameuse histoire de la renaissance