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au trône qu’en massacrant quatre-vingt-dix-neuf de ses frères; un seul survit, Tishya, destiné à entrer dans la vie religieuse. Cette boucherie n’a rien d’historique : nous avons entendu Açoka parler de ses frères et de ses sœurs, de leurs résidences dispersées dans tout l’empire. La légende, du reste, prend ailleurs une autre forme: il n’est plus question que de six frères : ils ont assis leur pouvoir dans six capitales séparées; Açoka entre en lutte avec eux, les défait, les tue, eux et leurs ministres.

C’est le moindre trait de sa cruauté furieuse. Il ordonne un jour à ses officiers de détruire les arbres à fleurs et à fruits, de ne conserver que les arbres à épines; et, irrité de leurs remontrances, il tire son épée et fait tomber la tête de ses cinq cents ministres. Une autre fois, il était dans un parc avec le harem. Les femmes, faisant entre un arbre açoka tout fleuri et leur époux Açoka des comparaisons peu obligeantes, profitent du sommeil du roi pour mettre en pièces l’arbre et ses fleurs. A son réveil, le roi, transporté de colère, fait brûler ses cinq cents femmes.

Sa violence est telle qu’elle lui inspire les plus bizarres inventions. Il place un tourmenteur à gages dans un édifice dont l’apparence est pleine de promesses, mais qui, à l’intérieur, copie les variétés de tortures consacrées par les descriptions infernales : chacun y peut entrer librement, mais c’est pour y subir les supplices les plus épouvantables ; personne n’en doit sortir vivant.

Quant à sa conversion, elle est attribuée à des mobiles divers. D’après un récit, il est un jour tellement frappé de l’aspect d’un jeune moine bouddhiste qu’il aperçoit de son palais, de la tenue décente et grave par laquelle il se distinguo des mendians brahmaniques, qu’il fait introduire près de lui le jeune prodige qui, à sept ans, a déjà atteint les perfections les plus hautes. Cet enfant n’est autre que le fils d’un de ses frères qu’il a si cruellement exterminés. Il s’appelle Nigrodha, du nom de l’arbre qui, dans la solitude, a abrité sa naissance. Amené devant le roi, il se contente de prononcer une stance : « Le zèle conduit à l’immortalité, la tiédeur à la mort; les zélés ne meurent pas; les tièdes sont pareils à des morts. » Aussitôt Açoka est touché de la grâce; il se fait, avec les siens, recevoir dans la communauté bouddhique. Ailleurs, il n’y faut rien moins qu’un miracle, qui sort de l’excès même de ses cruautés. Le moine Samoudra entre un jour dans l’enfer qu’a fait édifier le roi. Le bourreau s’apprête à le martyriser; cependant le saint homme obtient un sursis de sept jours. Les spectacles qu’il voit, les réflexions qu’il fait dans cet intervalle, le mènent à un degré de perfection qui lui assure des pouvoirs miraculeux ; quand le tourmenteur veut enfin le mettre à mort, il le trouve