Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

breton à ces peintures. Ce caractère n’est même qu’insuffisamment marqué. Le théâtre du récit est en effet l’Ille-et-Vilaine, c’est-à-dire la partie la moins originale de l’ancienne Bretagne. Sauf certains détails, les personnages mis en scène pourraient appartenir à d’autres régions plus ou moins voisines, et une foule d’observations s’appliquent au caractère et à la situation du paysan français en général.

On pourra se demander si, en étendant ces peintures à d’autres parties de la France, on n’a pas à craindre qu’il n’en ressorte une impression plus optimiste que ne le comportait l’état vrai des populations au XVIe siècle. Nous ne le croyons pas d’une manière générale. Sans doute, ces gens paraissent assez satisfaits de leur sort. Ils sont bons vivans. Ils chantent, ils dansent, ils débitent cent drôleries. Mais cela avait lieu ailleurs qu’en Bretagne. Au reste, Du Fail, on le verra, n’a pas flatté son modèle et ne nous a pas dissimulé ses défauts, non plus qu’il ne nous cache certaines souffrances et certains abus qu’il nous a lui-même signalés.

Nous avons déterminé le but général de cette étude en ce qui touche la classe rurale. Quant à Du Fail, nous nous garderons de prononcer les mots de réhabilitation et d’exhumation en mettant en lumière un aspect de ses œuvres trop négligé. Il a eu de son vivant une assez grande notoriété, et il a encore un public restreint qui lui fait accueil. Nous pouvons rappeler qu’il a vu se multiplier les éditions de ses livres, et d’abord de ses Propos rustiques, œuvre de sa jeunesse, et qui reste le meilleur de ses ouvrages. Publiée, comme devaient l’être ses autres écrits, sous le nom de Léon Ladulfi (anagramme de Noël Du Fail), elle voyait le jour pour la première fois en 1547. Les éditions se succédaient en 1548 et 1519, en 1554, en 1571, en 1576 et en 1580, sans s’arrêter après la mort de l’auteur, qui eut lieu en 1591. Pourtant ce serait induire le public en erreur que d’attribuer la même valeur à toutes ces éditions. Celle de 1548, publiée sans l’aveu de l’auteur, est remplie d’interpolations. Les Propos rustiques y paraissent sous un format plus commode, à plus bas prix, chez un libraire de Paris. Le titre annonce qu’ils sont revus et amplifiés par un des amis de l’auteur. Cette édition, répudiée par Du Fail, qui donnait lui-même l’édition augmentée, publiée à Lyon en 1549, soulève l’indignation de M. de La Borderie ; il ne lui pardonne pas de gâter l’œuvre de l’auteur original. Elle n’est pas la seule qui ait été altérée, mais cette édition de 1548 renferme des additions ridicules. Assurément le vieil écrivain mêle parfois des traits de mauvais goût à son esprit ordinairement de bon aloi. Il lui arrive de tomber dans le bouffon ou dans les pointes et les recherches équivoques du bel esprit, mais