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Ne peut-on penser pourtant que la vieille morale de maître Huguet était plus favorable au calme des âmes, et aux travaux de l’agriculture, moins exposée à voir les ouvriers ruraux et la moyenne classe s’éloigner d’elle pour gagner les villes? Il est vrai que ce moraliste de village conseille de prendre le mal en patience, mais il a soin de dire que c’est « dans les choses où il n’y a remède. » Cette constance à faire même visage à la prospérité et au mal qu’on n’a pu éviter lui parait la suprême sagesse. Il y voit un élixir de longue vie, comme le secret du bonheur. Celui qui s’attache à la vie rurale n’est pas ici un simple lieu-commun. On y trouve des conseils qui s’appliquent au temps de Du Fail et au nôtre. L’auteur ne se contente pas de dire qu’il ne faut pas trop changer de place et de métier, il engage le laboureur à ne pas vouloir trop amplifier ses domaines. Mieux vaut cultiver avec tout le soin possible le bien limité qu’on possède que de prétendre à l’augmenter. Ce qui frappe, c’est qu’un tel conseil soit déjà donné au XVIe siècle.

Je laisse à regret de côté, dans cette peinture de la vie rurale, une quantité de détails heureux d’une valeur toute descriptive pour ne m’attacher qu’à ce qui a un caractère en quelque sorte historique. On a rarement mieux recommandé, et en même temps mis sous les yeux par des images plus parlantes, le travail agricole. Ce laboureur qui part au matin, n’ayant pour le réveiller d’autre horloge que son coq, liant ses bœufs au joug, et chantant à pleine gorge sans craindre de réveiller le voisin ; ces passe-temps qui égaient ou interrompent le labour; ces oiseaux qui chantent dans la haie, ou suivent la charrue, ces pronostics sur le temps, qu’ils donnent par divers signes selon les espèces, tous ces détails ont un caractère général et local à la fois. La nature sourit à ce rude labeur ; elle mêle sa vie et sa grâce à la leçon de morale, déjà sûre de passer par la bonne humeur qui l’assaisonne. Les repas qu’on nous décrit sont terminés par des chansons. C’est toute une branche de la littérature populaire et rustique familière à l’auteur des Propos. Quelques-unes ont un charme naïf assez doux ; il en est de grossières et quelques-unes sont assez fades. M. de La Borderie en a recueilli plusieurs auxquelles Du Fail fait allusion.

L’auteur des Propos rustiques nous rend d’autres types villageois qui se sont depuis lors plus ou moins modifiés. J’en indiquerai quelques-uns, visiblement empruntés à la réalité. Un mélange d’esprit et de grossièreté forme le personnage de Robin Chevet. C’est un conteur intarissable, « après souper, le ventre tendu comme un tambourin, jasant le dos tourné au feu, taillant du chanvre, ou raccoustrant ses bottes à la mode qui couroit, » car « cet