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temps. Nous remarquerons, en outre, qu’il s’agit ici d’une peinture en partie satirique. Ainsi personne ne croira que Du Fail ait voulu nous dire qu’en général le mariage n’était pas respecté dans les campagnes, parce qu’un paysan paraît dans les Baliverneries sous les traits d’un mari trompé, sorte de George Dandin qui n’est pourtant sorti ni de son village ni de sa condition, et qui n’en est pas moins berné par sa femme avec les mêmes manèges impudens. Le récit que le pauvre homme fait de ses malheurs conjugaux n’est qu’un fabliau joliment conté. Les feintes des amans, les excuses du mari trompé, les thèses contradictoires sur le degré de liberté qu’il convient de laisser aux femmes, ne sauraient ici être prises comme une pièce de conviction contre les mœurs rurales. On est assez d’accord qu’aujourd’hui, dans les campagnes, l’infidélité de la femme est une exception qui n’est pas très commune par des raisons qui existaient dans l’ancienne société, et quelques-unes peut-être avec plus de force : contentons-nous d’indiquer le frein religieux, les soins actifs du foyer domestique qui excluent l’oisiveté et les dangereuses rêveries, l’œil vigilant des voisins et l’opinion restée sévère sur ce chapitre. Quant à décider !si les mœurs de la famille rurale valaient mieux autrefois, la question est très dépendante des temps et des lieux. Si on s’en rapporte aux documens de source ecclésiastique et aux autres, quels qu’en soient le caractère et la provenance» la réponse ne tournerait pas toujours, il s’en faut, à l’édification. Des entraînemens, des chutes, même des actes coupables, il y en a d’ailleurs toujours eu. On ne peut induire que le mal ait dépassé alors une minorité restreinte, atteinte par la contagion de vices en partie anciens, en partie nouveaux.

Voyons comment notre vieil auteur a tiré parti, pour la peinture des mœurs, de la description de certaines coutumes, il y avait et il y a beaucoup de bon dans celle des veillées ou fileries bretonnes. Tout pourtant n’y était pas innocent. On voyait se développer à la fois dans ces veillées les avantages et les inconvéniens que présente le rapprochement entre jeunes gens de différent sexe. On y abusait des privâmes. Du Fail a décrit d’une manière fort agréable, et qui donne l’idée de ce qui s’y passait, ces soirées où le travail en commun, la causerie, les longs récits et les chants réunissaient les familles. La description est encore du plus entier réalisme, sans rien d’indécent toutefois, mais nulle trace de cette poésie qu’un Souvestre et surtout un Villemarqué aiment à jeter sur ces vieilles coutumes bretonnes. Les jolis détails ne manquent pas pourtant et on voit qu’un sentiment honnête anime souvent ces galanteries villageoises. Les filles filaient leur quenouille sur la hanche ; les unes étaient assises plus haut et « de manière à manœuvrer et faire pirouetter