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sérieux, jusqu’à ce que les vengeances à exercer leur en aient donné de trop fondés, sont mises sous nos yeux dans la grande bataille du village de Flameaux et de ceux de Vindelles, « où les femmes se trouvèrent. » L’origine de cette querelle est elle-même à noter comme un indice de ces sentimens de rivalité hostile. La source en est dans une de ces jalousies locales que le passé voyait d’autant plus s’envenimer et s’exalter que la vie était plus restreinte et avait moins d’issue au dehors. Les gens de Flameaux tiraient de l’arc avec une telle supériorité dans toutes les fêtes qu’on ne parlait que d’eux dans tout le pays. De là chez ceux de Vindelles une envie sourde, une haine couverte. Ils n’attendaient qu’une occasion pour éclater, ou plutôt ils cherchèrent à la faire naître par des prétextes si peu sérieux que les autres ne savaient ce qu’on leur voulait et pourquoi on leur en voulait.

On en vient à échanger des propos injurieux. Parmi ces outrages, je remarque que ceux qui ont trait au labourage ne sont pas considérés comme les moins humilians. Ils cultivent mal leurs terres, n’en tirent qu’un médiocre revenu, injure suprême! Quelle issue donner à ces jalousies, à ces prétentions rivales qui n’ont pas trouvé encore à prendre un cours plus pacifique et à se terminer par voie d’arbitres dans les concours agricoles ? On soutient son honneur, comme archer et fin laboureur, à la force du poignet : méthode qui n’est pas moins concluante dans ces duels du village que dans ceux des villes. Lorsqu’il est enfin convenu que, le prochain dimanche, ceux du village affolé de jalousie donneraient le choc à ceux de Flameaux, cette préparation improvisée d’un siège en règle, ces bizarres équipemens de gens armés de fourches ferrées, de bâtons et de toute sorte d’instrumens de travail, ces paysans qui, « après avoir beu magistralement, se mettent haultement en ordre et en chemin ayans le feu en la teste, » avec la musique qui fait rage, ne donnent-ils pas l’idée de quelque assaut resté dans la mémoire des habitans? N’est-ce pas assez que de restreindre la part de la fiction aux détails ? Encore sont-ils si naturels et si précis pour la plupart qu’ils semblent plutôt avoir été reproduits qu’inventés. En tout cas, on ne devine aussi juste que lorsqu’on a beaucoup fréquenté la paysannerie. Mais tout n’est pas bas chez les rustres. L’insolente moquerie d’un des deux partis excite, chez ceux qui en sont l’objet, un sentiment qu’on pourrait s’étonner peut-être d’entendre désigner sous ce nom chez des paysans, le point d’honneur. Ce point d’honneur, qui mettait les gentilshommes aux prises, précipite sur leurs agresseurs ces vilains, convaincus que, s’ils ne répondent à ces provocations, ils seront « à jamais infâmes et déshonorés, » et n’oseront désormais se trouver « es bonnes compagnies. » Quant à l’intervention des femmes des deux villages, renouvelant entre