Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la yourte de Kowalski, mais sans y entrer toutefois. Une appréhension inexplicable m’arrêtait chaque fois que j’allais en franchir le seuil.

Aux abords de la demeure, sur les étroits châssis des fenêtres, on apercevait de vieilles planchettes très minces qui séchaient, étalées au soleil, sans qu’aucune main songeât jamais à les renouveler. Chaque jour, les planchettes noircissaient et se desséchaient davantage, comme peut-être aussi se desséchait et s’assombrissait à l’intérieur du logis celui qui naguère les avait placées là. De la maison, aucun indice de vie, de travail, ne venait.

À bout de patience enfin, je me décidai à entrer. Comme j’approchais du seuil, j’entendis monter de l’intérieur par la fenêtre ouverte, un faible chant, murmuré d’une voix tremblante, mais très douce. Je m’assis sur un banc circulaire de la yourte, et je pus distinguer chacune des paroles de ce chant plaintif et un peu suranné, comme l’étaient les romances que l’on chantait vers le milieu de ce siècle.

Cela commençait ainsi :


Quand les champs vêtiront leur robe de verdure,
Quand le printemps ranimera la nature…


La seconde strophe était plus langoureuse encore :


Celui qui souffre au fond de l’âme
Celui dont le cœur est plein de larmes amères,
Celui-là ne sera point égayé par la voix du rossignol.
Pour lui, la vie n’aura point de printemps.
Le monde n’aura plus un moment de calme.
L’année ne se transformera point en saisons nouvelles,
Il n’y a pas de printemps là où il y a du chagrin.
Dans les cœurs tristes, l’hiver règne toujours.


La voix s’arrêta un instant, puis reprit :


Celui qui a perdu sa mère bien-aimée.
Et avec elle, toutes ses espérances,
Celui qui voit les larmes de ses frères exilés !..


Ici le chant s’interrompit brusquement, et une voix grondeuse cria :

— Chien !.. petit chien !.. va dire des injures au bon Dieu !.. Va, va, injurie-le bien !..

Tout d’abord, je ne saisis pas complètement la signification de