Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérité n’a pas par elle-même une vertu attractive et absorbante ? Au lieu d’opposer sans cesse le catholicisme aux instincts modernes, il faut s’emparer de ces instincts à son profit ; et, comme il s’exprimait alors, il faut « catholiciser le libéralisme (décembre 1829). » Ainsi parlait Lamennais près d’une année avant la révolution de 1830.

Ainsi, Lamennais, bien avant 1830, se montrait de plus en plus désabusé du côté du royalisme ; ce qui est plus grave, c’est qu’on entrevoit déjà qu’il pourrait bien un jour être désenchanté et désabusé d’un autre pouvoir tout autrement respectable et qu’il mettait au-dessus de tout, mais dont il commençait déjà à déplorer la faiblesse et l’incurie : « Rome ! Rome ! où es-tu ? » disait-il à un moment où l’on croyait que Rome désapprouvait lâ protestation des évêques contre les ordonnances de 1828. Il se plaint de l’ingratitude de l’église à son égard : « Défendez donc la religion, l’église… L’église était dans l’arène, livrée aux bêtes… J’ai senti le besoin de combattre pour elle. Aussitôt on lapide le téméraire sans mission. « Il se plaint d’un évêque qui ne veut entendre parler de liberté que dans un sens spirituel, et qui ne comprend pas que Jésus-Christ a aboli l’esclavage politique et domestique. Enfin, il déplore que l’opposition vienne de ceux mêmes dont on devait attendre le soutien : « l’église, dit-il, en est arrivée à un véritable protestantisme de fait. »

Le livre Des Progrès de la révolution contenait donc déjà une proposition d’alliance du catholicisme et du libéralisme, et il fut ainsi interprété par les catholiques : c’est ce qui résulte d’une lettre d’un catholique belge, à la fois libéral et catholique, et qui souffrait profondément de la contradiction de ces deux opinions : « Votre ouvrage, lui écrivait-il, a rendu le repos à mon esprit et la paix à ma conscience. Catholique plein de foi, j’étais libéral en politique ; et cependant presque tous les catholiques que je voyais faisaient de l’autel et du trône une cause commune, et je voyais presque toujours l’incrédulité l’apanage du libéralisme. Cette contradiction a été pour moi la source de combats bien pénibles ; et cependant je ne pouvais me soumettre à regarder les peuples comme de vils troupeaux livrés légitimement en proie à la houlette imbécile d’un berger ou au couteau d’un bourreau. Votre livre a paru, monsieur, et a été pour moi une vive lumière, qui a subitement éclairé ce coin obscur où je tâtonnais depuis si longtemps ;.. depuis ce temps, j’ai retrouvé la tranquillité… Votre ouvrage a fait une sensation immense dans ce pays ; trois contrefaçons en sont épuisées ; nos vieilles entrailles flamandes ont tressailli en reconnaissant les principes qui ont guidé nos pères dans leur si longue résistance au pouvoir. »