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L’église réclamant ainsi pour elle-même et pour tous toutes les libertés n’était plus suspecte d’alliance avec le despotisme ; elle n’avait plus d’autre arme que la vérité seule, il est impossible que cette vérité ne se fasse pas reconnaître et obéir ; la société redeviendra chrétienne par la force des choses, et l’unité morale du genre humain se rétablira spontanément. Tel est le rêve que Lamennais caressait dans ce premier moment d’enthousiasme qui suivit la révolution de Juillet, et dont l’Avenir fut l’expression pure, naïve, désintéressée. L’ardeur du vieux prêtre se communiquait aux hommes généreux et candides qui, groupés autour de lui et inspirés par lui, croyaient travailler, comme de nouveaux apôtres, au renouvellement de l’église, à la résurrection de la foi ; et, cependant, quelque brillantes que fussent ces espérances, quelque talent, quelque foi, quelque enthousiasme qu’apportassent à cette œuvre les rédacteurs de l’Avenir les idées précédentes trouvèrent peu d’écho dans le monde catholique. Le journal fut obligé de suspendre sa publication. Mais, en le suspendant, on ne voulut pas cependant avouer au monde ni s’avouer à soi-même qu’on s’était trompé. On crut avoir trouvé un moyen de salut et de force en allant soumettre la nouvelle doctrine à la plus haute des autorités, à celle que l’abbé de Lamennais avait toujours proclamée l’autorité suprême et infaillible. Il crut que, si le clergé se défiait, s’il se tenait à distance, c’est qu’il craignait de déplaire aux grands dignitaires de l’église ; et ceux-ci eux-mêmes étaient tenus en respect par la crainte de Rome. Si donc on pouvait obtenir de Rome elle-même quelque adhésion, quelque encouragement, au moins quelque témoignage de sympathie, on retrouverait auprès du clergé l’appui qu’il n’osait pas donner. De là la funeste résolution d’aller à Rome, suggérée par Lacordaire, acceptée avec empressement par Lamennais, acte trop peu médité, qui était, en apparence, un acte de soumission, mais qui devait devenir plus tard l’occasion de la crise terrible qui coupa en deux la vie de Lamennais. Jusqu’ici, malgré l’entraînement des idées modernes qui l’envahissaient chaque jour de plus en plus, il était resté l’abbé de Lamennais, le catholique fervent, l’une des lumières de l’église. Il allait revenir bientôt l’un de ses plus cruels ennemis.

Terminons le récit de cette première période en rappelant les mots touchans par lesquels se termine le dernier numéro de l’Avenir, dans lequel Lamennais annonçait à ses lecteurs son prochain voyage à Rome, et l’appel qu’ils allaient faire à l’autorité paternelle du souverain pontife : « Nous quittons un instant le champ de bataille pour un autre devoir également pressant. Le bâton du voyageur à la main, nous nous acheminerons vers la chaire éternelle ; et là, prosternés aux pieds du pontife que Jésus-Christ a préposé pour guide et pour maître à ses disciples, nous lui dirons : « O père,