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la figure bouleversée, l’œil en feu, tenant à la main un pli dont le sceau avait dû être brisé fiévreusement. On le regardait ; il se tut. Les conversations essayèrent de se renouer, mais en vain. On sort de table. En sortant, le maître, d’une voix saccadée, avait dit à ses deux compagnons : « Je viens de recevoir une encyclique du pape contre nous. Nous ne devons pas hésiter à nous soumettre. »

Ainsi, la réponse du saint-siège arrivait enfin. Elle était accablante pour l’abbé de Lamennais et pour ses amis ; est-il permis de dire, accablante aussi peut-être pour le catholicisme et pour le christianisme lui-même. La papauté rompait tout lien avec la pensée moderne, et, ce qui était plus grave encore, avec les principes libéraux inhérens au christianisme ; car il y avait une part de vérité dans ce que disait Lamennais, à savoir que le christianisme, à son origine, était le parti des faibles, des pauvres, des misérables ; qu’au moyen âge les papes avaient souvent protégé les peuples contre les rois ; enfin, que le principe libéral, à sa source, était un principe chrétien. L’encyclique de 1832 fut une rupture déclarée avec tous les besoins et tous les principes de la société moderne. Cette encyclique, renouvelée en 1867 par cette autre encyclique connue sous le nom de Syllabus, a créé le grave conflit dont les conséquences sont sous nos yeux et qui met en face deux doctrines intolérantes dont aucune ne peut triompher que par l’extermination de l’autre. S’il est vrai de dire que Lamennais avait poussé trop loin ses idées, qu’il avait trop engagé le catholicisme dans la voie de la démocratie et de la révolution, le fond de sa thèse, cependant, qui recommandait la réconciliation de l’église et de la liberté, était plus sage, plus pratique, plus chrétien même que la politique à outrance qui a prévalu dans l’église.

Quoi qu’il en soit, l’encyclique proclamée, il fallut prendre un parti. Une lutte sourde s’engage alors entre la papauté et Lamennais et continue pendant près de deux ans. Il serait trop long de suivre en détail les incidens compliqués de cette lutte. Rappelons seulement, de la part de Lamennais, les actes suivans : d’abord, une renonciation publique au journal l’Avenir puis une lettre adressée au pape, dans laquelle il se soumet à l’encyclique, sauf ce qui concerne la politique ; enfin, une dernière déclaration de Lamennais, obtenue par les soins de l’archevêque de Paris, M. de Quélen, et conçue en ces termes : « Je, soussigné, déclare, dans les termes mêmes de la formule contenue dans le bref du souverain pontife Grégoire XVI, du 5 octobre 1833, suivre uniquement et absolument la doctrine exposée dans l’encyclique du même pape, et je m’engage à ne rien écrire ou approuver qui ne soit conforme à