Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Les prédicateurs, disait-il, discourent éloquemment sur l’instabilité des choses de ce monde, sur la vanité des joies et des espérances. On les écoute avec émotion ; mais chacun se dit : Je m’arrangerai pour sauver mon bien. Le plus éloquent des prédicateurs est un hussard, le sabre au poing, et bon gré mal gré, il faut bien qu’on l’en croie. On le maudit, on le charge d’imprécations ; le torrent dévastateur s’écoule, après quoi les moissons repoussent, et les vains bavardages se taisent devant les sérieuses répétitions de l’histoire. »

Après 1815, quand la fortune eut trahi le grand capitaine qui avait lassé la patience des hommes, l’Europe échappée comme par miracle des griffes du lion, encore toute froissée et meurtrie, occupée de reprendre haleine et de lécher le sang de ses blessures, se figura quelque temps que sa vraie destinée était le repos. On vit paraître alors en Angleterre les premières sociétés de la paix, qui ne tardèrent pas à se répandre sur le continent : « Un travail sourd s’accomplit chez tous les peuples, écrivait-on. L’influence de la littérature et de la presse tend à la formation d’une confédération européenne. L’Europe aura de nouveau son sacré-collège, mais digne de ce nom, et son conseil des amphictyons; une férocité insensée sera proscrite du sein des nations comme elle l’est entre les individus, et la guerre tombera pour toujours en désuétude. » Puis vinrent les socialistes ; mais ils pensaient que pour pacifier les nations, il fallait commencer au préalable par transformer les sociétés, et ce n’est pas ce qu’ils disaient de moins sensé. Aux bâtisseurs de sociétés nouvelles succédèrent les positivistes, puis les darwiniens, qui dans cette fin de siècle sont les vrais maîtres de l’esprit public. Mais ils ne s’accordent pas tous dans leurs conclusions. Les uns nous disent que l’instinct belliqueux est une disposition héréditaire que nous tenons des premiers hommes, qui la tenaient eux-mêmes des animaux, lesquels sont nés pour s’entre-dévorer, et ils nous font espérer que dans le cours des siècles le genre humain ayant dépouillé de plus en plus sa nature animale, ses instincts naturels changeront, que sa raison sera plus forte que ses appétits, et que les doux feront la loi aux violens. D’autres estiment au contraire que la concurrence vitale et la victoire incessante des forts sur les faibles étant la loi suprême de ce monde, il appartiendra jusqu’à la fin à la force aidée de la ruse, que, comme les airs, comme les eaux, la terre sera toujours un champ de bataille et de destruction.

Théosophes et philosophes, socialistes, spiritualistes et darwiniens, quels que soient leurs dissentimens, tous s’accordent à demander que la guerre, si on ne peut l’abolir, devienne de plus