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locales, quelques prêtres rentrés, quelques religieuses éparses le donnent, par contrebande, à de petits troupeaux d’enfans catholiques : cinq ou six fillettes autour d’une ursuline déguisée épellent l’alphabet dans une arrière-chambre[1]; un prêtre, sans tonsure ni soutane, reçoit le soir en cachette deux ou trois jeunes garçons auxquels il fait traduire le De Viris. — A la vérité, pendant les intermittences de la Terreur, avant le 13 vendémiaire, avant le 18 fructidor, les écoles particulières repoussent, comme des touffes d’herbe dans une prairie fauchée et foulée ; mais ce n’est que par places et maigrement; d’ailleurs, sitôt que le jacobin revient au pouvoir, il les écrase avec insistance[2] : il veut être seul à enseigner. — Or l’institution d’état, par laquelle il prétend remplacer les établissemens anciens et les établissemens libres, ne fait figure que sur le papier. Il a installé ou décrété une école centrale par département, quatre-vingt-huit pour le territoire de l’ancienne France; ce n’est guère pour tenir lieu des huit ou neuf cents collèges, d’autant plus que ces nouvelles écoles sont à peine viables, délabrées par avance[3], mal entretenues, mal outillées, qu’elles n’ont pas de succursales préparatoires ni de pensionnats annexes[4], que le plan des études y est mal agencé, que l’esprit des études est suspect aux parens[5]. Aussi la plupart

  1. Ma grand’mère maternelle apprit à lire d’une religieuse cachée dans le cellier de la maison.
  2. Albert Duruy, Ibid., 349. (Arrêté du Directoire, 17 pluviôse an V, et circulaire du ministre Letourneur contre les écoles libres, qui sont «des repaires de royalisme et de superstition. » — Par suite, arrêtés des administrations départementales de l’Eure, du Pas-de-Calais, de la Drôme, de la Mayenne et de la Manche pour fermer ces repaires.) « Du 27 thermidor an VI au 2 messidor an VII, écrit l’administration de la Manche, nous avons révoqué 58 instituteurs sur la dénonciation des municipalités et des sociétés populaires. »
  3. Archives nationales, cartons 3144 à 3145, n° 104. (Rapports des conseillers d’état en mission dans l’an IX.) Rapport de Lacuée sur la 1re division militaire. A Paris, trois écoles centrales, l’une dite des quatre-Nations. « Il faut visiter cette école pour se peindre l’état de destruction et de délabrement de tous les bâtimens nationaux. Depuis l’ouverture des écoles, on n’a fait aucune réparation : tout tombe et se détruit.... Des murs à bas, des planchers enfoncés. Pour préserver les élèves des dangers que présente à toute heure l’habitation de ces bâtimens, on est obligé de faire les cours dans des chambres très insalubres par leur petitesse et leur humidité. Dans la classe de dessin, les modèles et les papiers se moisissent dans les portefeuilles. »
  4. Albert Duruy, Ibid., 484. (Procès-verbaux des conseils-généraux, an IX, passim.)
  5. Id., 476. (Statistiques des préfets, Sarthe, an X.) « Des préventions difficiles à détruire, tant sur la stabilité de cette école que sur la moralité de quelques professeurs, en ont empêché quelque temps la fréquentation. » — 483. (Procès-verbaux des conseils-généraux, Bas-Rhin.) « Le renversement de la religion a inspiré des préventions contre les écoles centrales. » — 482. (Ibid., Lot.) « La plupart des professeurs de l’École centrale ont figuré dans la révolution, d’une manière peu honorable : leur réputation nuit au succès de leur enseignement; leurs écoles sont désertes. »