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s’est attaché à établir entre la nationalité et la religion se retourne contre lai. Le paysan biélo-rasse qui fréquente le kostël[1] répond à qui l’interroge qu’il est Polonais, catholique et Polonais étant pour lui synonymes[2]. C’est à ces catholiques blancs ou petits-russiens que s’est attaquée de préférence la propagande orthodoxe ; elle sait qu’elle a peu de prise sur les autres. La guerre menée contre l’église romaine par Moscou et Pétersbourg devait la rendre plus chère au Polonais et au Lithuanien. C’est la passion du Russe à extirper de ses provinces occidentales le catholicisme qui, de la Pologne à demi sceptique de la fin du XVIIIe siècle, a fait le pays le plus profondément catholique du XIXe. Chaque coup porté à sa foi nationale l’a enfoncée davantage dans l’âme polonaise. Aujourd’hui encore, pour sentir ce que peuvent être la foi d’un peuple et l’intensité de sa prière, il n’y a qu’à voir la foule agenouillée dans une église de Pologne.

Le catholicisme était, de tous les cultes de l’empire, le plus malaisé à plier aux formes administratives russes. À l’église romaine comme aux autres confessions, la Russie prétendait faire revêtir une constitution ecclésiastique taillée sur le patron de son très-saint-synode. Au-dessus des évêques, le gouvernement impérial a placé une sorte de synode : le collège catholique romain qui siège à Pétersbourg, sous la présidence de l’archevêque de Mohilef, primat de l’empire. Ce collège, auquel Rome ne veut reconnaître que l’administration du temporel, est composé de délégués choisis par les chapitres diocésains et agréés par le gouvernement. En outre, à l’instar des éparchies orthodoxes, les diocèses catholiques ont été pourvus de consistoires dont les membres désignés par l’évêque doivent être confirmés par l’autorité civile. Tout ce mécanisme bureaucratique s’adaptait mal à la hiérarchie catholique ; aussi la curie romaine a-t-elle toujours cherché à en affranchir les évêques. Les papes Grégoire XIII et Pie IX se sont maintes fois plaints de l’assujettissement de l’épiscopat aux consistoires diocésains et au collège de Pétersbourg[3]. Ils ont réclamé contre la présence dans ces assemblées ecclésiastiques de procureurs impériaux ou de secrétaires laïques à la nomination des ministres. Léon XIII, à son tour, n’a cessé, dans ses négociations avec la Russie, de revendiquer pour les évêques la libre administration de leurs diocèses. On voit par là combien malaisé est tout modus vivendi entre Pétersbourg et le Vatican. Les difficultés que soulèvent, entre le saint-siège et le pouvoir civil, la notion catholique de l’église et la conception

  1. Kostël, du polonais kosciol, église catholique.
  2. Voyez, par exemple, M. Vladimirof, Vestnik Evropy (mars 1881, p. 367).
  3. Voyez l’Esposizione documentata sulle costanti cure del S. P-Pio IX a riparo dei mali che soffre la Chiesa cattolica nei dominii di Russia e di Polonia. Rome, 1866.)