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comme tous les pouvoirs nouveaux, elle a ses partisans fanatiques, les détracteurs ne lui ont pas manqué, ennemis imprudens qui ont fait plus pour elle que ses amis les plus dévoués.

Avaient-ils donc prévu sa grandeur future, ces législateurs et ces philosophes anciens qui, réduisant la femme au servage, lui reprochaient des vices d’esclave ; ces pères de l’église qui la traitaient en adversaire, ces penseurs profonds dont elle déroutait la logique et qui ont tant médit d’elle ? Un Platon, affirmant que celui qui a failli sera changé en femme à la seconde naissance ; Hippocrate se demandant : — Qu’est-ce que la femme ? — Et répondant : La maladie. Saint Jérôme ne la représentait pas sous de moins sombres couleurs : Pejores omnes et a diabolo afflatœ. Suivant saint Thomas, « la femme est un être accidentel et manqué. » Plus rude encore dans son langage, saint Jean de Damas nous dit : « La femme est une méchante bourrique, un affreux ténia qui a son siège dans le cœur de l’homme, « Saint Jean-Chrysologue écrit : « Elle est la source du mal, l’auteur du péché, la pierre du tombeau, la porte de l’enfer, la fatalité de nos misères. » D’après saint Grégoire le Grand, « elle n’a pas le sens du bien. » Érasme la déclare « un animal inepte et fou, mais au demeurant plaisant et gracieux ;., la femme, ajoute-t-il, est toujours femme, c’est-à-dire folle. »

On remplirait des in-folio du mal qu’ils ont dit d’elle. La bibliothèque la plus vaste ne contiendrait pas tout ce qui a été écrit sur cet inépuisable sujet, et dans notre Paris seul on peut affirmer, sans crainte de se tromper, qu’on voit éclore chaque année plus de mille volumes nouveaux, romans ou autres, dans lesquels on porte la femme aux nues ou on la traîne aux gémonies. Idole ou victime, elle n’en demeure pas moins triomphante. Avec quel dédain méprisant elle a essuyé, sans broncher, la terrible boutade du plus misogyne des philosophes !

« O vous, sages à la science haute et profonde, qui avez médité, qui savez où, quand et comment tout s’unit dans la nature, pourquoi ces amours, pourquoi ces baisers ? Mettez à la torture votre esprit subtil et dites-moi où, quand et comment il m’arriva d’aimer, pourquoi il m’arriva d’aimer ? » Ainsi s’exclamait Burger, et Schopenhauer de se poser la même question. Il se demande, lui aussi, en quoi consiste cet empire mystérieux, le plus puissant et le plus actif de tous. Il s’étonne de le voir mettre les plus grands esprits à l’envers, intervenir, pour les troubler avec ses vétilles, dans les négociations diplomatiques, glisser ses billets doux et ses mèches de cheveux dans les portefeuilles des hommes d’état, bouleverser tout, embrouiller tout. Et il s’en prend à « ce sexe de petite taille, aux larges hanches, aux cheveux longs et aux idées