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de mes pas ; maintenant, il m’attelle avec l’âne à la charrue et me fait labourer. »

L’Anglais, précurseur de l’Américain, voit surtout dans la femme la mère de ses enfans et la maîtresse de sa maison. Peu sociable par goût, très indépendant par nature, il supporte impatiemment la vie des villes, ne l’accepte que pour un temps, celui de conquérir, avec l’aisance, le droit de vivre à sa guise, chez lui, sur un sol, dans une demeure qui soit sienne ou qu’il fasse sienne. Profondément imbu des traditions bibliques, entretenues et avivées par le culte domestique et la lecture des livres saints, il leur a emprunté certains traits caractéristiques : le respect de l’autorité paternelle, le désir d’une progéniture nombreuse. Il en a gardé aussi le goût de la vie nomade. L’instinct qui pousse les cadets de famille à chercher aux Indes, au Canada, en Australie, au Cap, un plus vaste champ d’activité, à créer et à peupler les colonies anglaises, ce même instinct qui entraîne l’homme d’affaires à consacrer chaque année quelques semaines à visiter l’Europe, à chasser en Écosse, à pêcher le saumon en Suède et en Norvège, à voyager eu Égypte, qui pousse ses hardis explorateurs au cœur de l’Afrique ou jusque dans les glaces du pôle Nord, lui vient de là. Sédentaire par occupation, par nécessité, il a les instincts du nomade, le désir de camper, de changer de place, d’horizon et de climat. Aussi l’émigration lui paraît-elle naturelle ; elle ne comporte pour lui aucune des idées défavorables qui prévalent ailleurs, où volontiers on l’associe à l’idée d’inconstance, d’impuissance à réussir là où la destinée vous a placé.

Ces instincts, ces traditions, il les emporte avec lui, les implante sur les terres nouvelles qu’il colonise, les transmet à ses descendans. Ainsi fit-il, quand la persécution religieuse d’abord, le désir de conquérir la fortune ensuite, l’amenèrent sur les plages du Nouveau-Monde. Greffe détachée du robuste tronc anglais, il prit racine et fit souche à son tour, car il ne partit pas seul. Sa femme, ses fils et ses filles l’accompagnaient. Ils partageaient ses croyances, et aussi ses espérances. Il commandait, on obéissait ; il décidait, et sa volonté faisait loi.

Lorsqu’on 1620 ils s’embarquèrent sur le May-Flower, lorsqu’en 1630, au nombre d’un millier, ils émigrèrent pour chercher, dans la baie de Massachusetts, la tolérance religieuse et la liberté politique que leur refusait Charles Ier, ce ne fut ni en révoltés vaincus, ni en fanatiques exaspérés, mais en sujets encore loyaux, en Anglais libres que le présent inquiète et qui, doutant de l’avenir, mais non d’eux-mêmes, vont planter leurs tentes sur un sol anglais où l’éloignement assurera leur indépendance. Presque tous appartenaient