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plus tard, nous rechercherons, dans la femme américaine moderne, ce que l’action du temps, de l’éducation et du milieu en a laissé subsister. Mais cette femme du Nord, ce facteur primordial, n’est pas l’unique. Simultanément avec les événemens que nous venons de retracer, un autre type apparaît, bien différent, non d’origine, mais de condition, offrant avec celui-ci un contraste frappant. De nos jours, ces deux types s’uniront, sans se confondre encore entièrement ; de leur union naîtra la femme américaine, celle que nous connaissons, produit caractéristique d’une civilisation autre que la nôtre, appelée un jour peut-être à la remplacer, et dont déjà, inconsciemment et insensiblement, nous subissons l’influence.

Peu après que les puritains, fuyant la persécution religieuse des Stuarts, colonisaient le Nord, les partisans vaincus de Charles Ier venaient à leur tour demander à ce Nouveau-Monde, que devaient peupler l’anarchie et les guerres civiles du nôtre, un asile et un foyer. Étrange destinée qui rejetait indistinctement sur ces rives lointaines ceux qui, mettant les croyances religieuses, l’indépendance politique ou la foi monarchique au-dessus de tout, n’hésitaient pas à quitter leur patrie ! Étrange destinée qui devait faire d’un exode de proscrits volontaires, de protestans zélés et de catholiques fervens, de libéraux passionnés et de royalistes fanatiques, les citoyens d’une grande république !

D’instinct, ces nouveaux colons émigrèrent dans le sud. Ils n’avaient rien en commun que la race et la langue avec les puritains du nord. Leurs convictions politiques et leur foi religieuse étaient autres, autres aussi leur condition sociale, leurs traditions, leurs idées et leurs goûts. Les émigrans du nord appartenaient à la classe moyenne, à la secte qui un moment triomphait, l’une et l’autre incarnées en Cromwell, meurtrier de leur roi, usurpateur de son pouvoir. La Virginie était terre royale et loyale. Elle tenait des rois légitimes sa charte d’incorporation. Les royalistes émigrés s’y établirent, et, pour ne laisser aucun doute sur leurs sentimens, hardiment la baptisèrent : Ihe Old Dominion, par opposition au nom odieux de Commonwealth of England. Old Dominion, c’est-à-dire l’antique domaine royal, la terre du souverain qui, vaincu et martyr, leur y donnait encore asile. Onze ans plus tard, ils devaient y saluer de leurs longues acclamations la restauration des Stuarts et l’avènement de Charles II.

Le royalisme est, lui aussi, une religion ; il a ses sectaires et ses dévots. À ce titre les femmes y ont leur place, et au premier rang, plus promptes à se passionner pour un principe qui s’incarne en une individualité permanente que pour un principe abstrait représenté par des personnalités évanescentes. Il faut une idole à leur besoin d’idéal, un temple à leur culte, et, pour celles que leur