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maîtres d’école sévères. Il était à la fois bon homme et diplomate. Nouveau-venu dans le settlement, et pauvre, il entendait bien mener sa barque et s’inspirer des idées du milieu dans lequel il se trouvait. Il inclinait vers la douceur, mais était prêt à nous mener plus rudement pour peu qu’on lui en exprimât le désir, et ce fut malheureusement le cas. Quelques parens se plaignirent de ce que l’on ne nous châtiait jamais. L’un d’eux, par malchance, avait ouï raconter la fable des grenouilles qui demandent un roi ; il baptisa M. Lorriby du surnom de roi Soliveau. Un autre menaça de retirer ses enfans, de mettre son fils à la charrue, sa fille à raccommoder le linge.

« On aimait alors ses enfans tout autant qu’aujourd’hui, mais on avait d’étranges façons de leur prouver son affection. Les parens n’étaient jamais plus satisfaits qu’en apprenant que leur enfant avait été bien battu à l’école. Ils appréciaient fort l’instruction, mais lui croyaient des affinités mystérieuses avec la férule. Nos écoles étaient, à certains égards, des autres de Trophonius : garçons et filles y passaient par une série d’incompréhensibles initiations. Dans les idées du temps, la férule était indispensable pour inculquer le savoir et le faire pénétrer profondément dans l’esprit à travers l’épiderme. Les générations qui nous avaient précédés avaient passé par là ; c’était notre tour. Je ne puis m’expliquer cette aberration qu’en admettant que nos parens avaient eu l’esprit tellement détraqué par cette méthode d’enseignement qu’ils étaient demeurés incapables d’en comprendre un autre et de raisonner sensément sur le sujet. Ils prétendaient que les hommes et les bêtes se ressemblent ; que le chien le plus attaché à son maître est celui que l’on bat ; qu’il n’y a rien de tel pour un mulet que d’être surmené de fatigue avant de se trouver en tête-à-tête avec un râtelier bien garni. Ils avaient été si rudement malmenés à l’école qu’il leur en restait un fonds d’inexplicable gratitude. Aussi écoutaient-ils avec une satisfaction béate les plaintes de leurs enfans, les récits des volées quotidiennes dont on les gratifiait. Moins elles paraissaient méritées, plus elles leur semblaient salutaires ; quand le maître d’école, sans motif connu, administrait une correction à toute la classe et contraignait ses élèves à se casser la tête pour savoir ce qui leur valait cette aubaine, le mystère doublait l’impression physique, et les parens de se gaudir intérieurement. Cela leur rappelait leurs jeunes années, disaient-ils, et ils en concluaient que, puisqu’ils y avaient survécu, ce régime avait dû leur être bon. On attrape dans la vie tant de horions dont l’origine et le but passent notre compréhension !

« Quand M. Lorriby eut enfin saisi ce que nos parens attendaient de lui, il se révéla sous un jour tout nouveau. Un certain lundi matin, il nous avisa qu’il fallait nous préparer à un changement de