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dernière philosophie, et peut-être même y eut-il là quelque chose de commun : car, ainsi que nous venons de le dire, Lamennais a vu Schelling en passant à Munich en 1832, comme nous l’apprenons par une de ses lettres récemment publiées : « Schelling, écrit-il à M. de Vitrolles, a extrêmement modifié ses premiers principes, ou plutôt il les a totalement changés. Il reconnaît maintenant l’impossibilité de philosopher si l’on ne prend la tradition pour base. J’ai eu avec lui plusieurs conversations fort intéressantes pendant mon séjour à Munich. Nous nous sommes trouvés d’accord sur les fondemens de la méthode philosophique. C’est un homme droit, d’une grande perspicacité, et sans contredit le premier génie de l’Allemagne. » (Septembre 1833.) On comprend cet accord momentané de Schelling et de Lamennais. L’un revenait au christianisme ; l’autre s’en éloignait. Ils se rencontrèrent en route à moitié chemin. Ce qui est certain, c’est que, pour Lamennais comme pour Schelling, Dieu n’est pas la plus haute des idées. Cette idée la plus haute est l’idée de l’être. Dieu, c’est l’être en tant que créateur, en tant que personne. Il est l’être par sa substance ; il est Dieu par ses attributs. L’être n’est pas l’indéterminé ; rien n’existe qui ne soit déterminé. L’être a donc des propriétés, et c’est à ce titre seul que nous pouvons le saisir, c’est à ce titre qu’il devient Dieu pour nous.

Quelles sont ces propriétés distinctes « qui font de Dieu un véritable Dieu, en tant qu’il est avec elles, » selon l’expression de Platon, qui peut être rappelée ici ? Elles sont au nombre de trois, et il est impossible de ne pas reconnaître ici dans la philosophie de Lamennais la trace de ses croyances théologiques. Son ouvrage est le développement de la doctrine de la Trinité. Fidèle à la méthode déductive, Lamennais essaie de déduire de l’idée de l’être les trois propriétés fondamentales qui le constituent et le déterminent. S’il eût mieux connu l’histoire de la philosophie, il eût su que cette tentative avait été souvent essayée et qu’elle avait toujours échoué. De l’être, on ne peut déduire que l’être. L’être est, disait Parménide, mais pas plus. Encore est-ce une question de savoir si de la notion d’être on peut tirer l’affirmation de l’existence de fait, de telle sorte que, pour savoir que l’être est ou existe, il faut encore sortir de l’être. Mais quant à tirer de là des propriétés déterminées, c’est ce qui paraît absolument impossible. À la rigueur, on peut dire que la notion d’être enveloppe celle de puissance : car, pour être, il faut pouvoir être ; encore faut-il savoir d’où vient l’idée de puissance, et la plupart des philosophes modernes sont d’accord pour tirer cette idée de la conscience. Admettons cependant, si l’on veut, que l’idée d’être soit identique à celle de puissance, et que si l’une est posée, l’autre le soit également. Mais