Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus parfait ; les seconds, que, en dehors de Dieu, il n’y a pas un parfait absolu. Les premiers imposent à Dieu le choix dicté par la sagesse ; les seconds n’admettent aucune limite à la liberté, même la limite du bien. Suivant Lamennais, cette discussion n’a pas d’objet. Il n’y a pas plusieurs mondes possibles ; il n’y en a qu’un, celui qui est, lequel est la réalisation progressive de tout ce qui est en Dieu. Il n’est pas actuellement le plus parfait, puisqu’il se perfectionne sans cesse ; il tend à la perfection sans jamais y atteindre. Le jour où il l’atteindrait, il cesserait d’être monde et deviendrait Dieu : « L’univers n’est et ne peut être qu’une manifestation de Dieu ; et voilà pourquoi l’antiquité se le représentait comme un temple dans lequel, avant l’introduction du mal, tout être est un rayon de sa gloire, toute voix un hymne à sa louange. Cœli enarrant gloriam Dei. Il est comme une grande et éternelle incarnation du Dieu créateur… Il a mis dans chaque être quelque chose de tout ce qu’il est, et les plus parfaits portent en eux la visible empreinte de cette parenté divine : Ipsius et genus sumus ; sortie de lui, la création aspire à retourner vers lui… Elle se dilate au sein de son immensité par un progrès sans fin… Il l’attire à lui en s’épandant sur elle ; il la pénètre, il la féconde, il se prodigue à elle pour accomplir une union toujours plus intime et qui ne sera jamais consommée. Autant qu’il est donné à notre intelligence d’embrasser l’œuvre du Très-Haut, voilà l’univers ; et la grandeur de la pensée est d’entrevoir ces merveilles qui fatiguent et désespèrent la parole, impuissante à les exprimer[1]. »

L’univers étant la manifestation de Dieu, on doit y retrouver les trois propriétés divines, les trois primordialités, comme disait Campanella, savoir : une force qui le maintienne ; des formes qui en distinguent les parties avec un ordre qui les tient en équilibre ; enfin, un principe d’union qui les associe et les enchaîne, le tout lié à une substance qui est le fond de leur être, et une limite qui les termine en les circonscrivant.

Quelle idée maintenant devons-nous nous faire de la vie de l’univers ? Cette idée est celle du développement, ou, comme nous dirions aujourd’hui, et Lamennais emploie souvent lui-même cette expression, « de l’évolution. » L’univers a dû commencer par l’état le plus simple. Toutes les traditions rappellent l’idée d’un chaos primitif, d’un œuf divin. La science à son tour, par la théorie des nébuleuses[2], semble bien nous faire entendre que l’univers

  1. Esquisse, t. I, liv. III. ch. I.
  2. Cet exemple des nébuleuses, qu’Herbert Spencer emploie si souvent au point que sa théorie a pris le nom en Angleterre d’hypothèse nébulaire, est aussi l’exemple dont se sert le plus souvent Lamennais.