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conduit les peuples à une demeure nouvelle ; et que la grande poésie de notre siècle, prêtresse d’une religion que l’on ne saurait nommer, porte en ses mains les symboles d’un Dieu inconnu. » Les destinées de l’art depuis Lamennais ne semblent pas trop d’accord avec ces nobles et belles espérances. Au lieu de se rapprocher de Dieu, l’art s’en est de plus en plus éloigné. Il a cherché ses inspirations soit dans les sombres tristesses du pessimisme, soit dans la peinture saisissante des plus brutales réalités. Nous ne pouvons prévoir l’avenir ; mais nous pensons avec Lamennais que, si l’art ne revient pas aux grandes sources, il périra tout à fait.

Pour terminer, tel est l’ensemble majestueux des conceptions dont se compose cette doctrine que Lamennais a si justement appelée l’esquisse d’une philosophie. On ne peut y méconnaître une grande hauteur de vues, des percées originales, un vaste effort de synthèse. Ce qui lui manque le plus, c’est la science philosophique ; et c’est à la fois pour lui un avantage et un inconvénient. Il retrouve par lui-même, sans le savoir, beaucoup de théories déjà connues, et il leur donne par là son cachet propre. Mais peut-être avec plus de science eût-il pu leur donner plus de développement et de force. Peut-être aussi en eût-il mieux vu les lacunes. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a là des idées fortes et fécondes dont il y aura à tenir compte lorsque l’on daignera revenir à ces hautes spéculations qui sont l’honneur de l’esprit humain.


PAUL JANET.