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et la France. Sans doute, plus d’un Allemand souffrait de l’inertie politique qui lui était imposée et pouvait s’écrier, comme le héros des Brigands : « Mon âme a soif d’action, et mes poumons ont soif de liberté. » Plus d’un déplorait l’état d’impuissance où une constitution décrépite réduisait l’Allemagne ; mais ils ne s’arrêtaient guère à l’idée d’une réforme, ils aimaient mieux comparer théoriquement les avantages et les défauts des différentes constitutions, et disserter pour ou contre la république ou la monarchie.

La république eut en Allemagne, durant toute cette période, nombre de partisans aussi passionnés que platoniques. Je ne parle pas seulement des auteurs dramatiques, tels que Schiller, par exemple, dont l’ardeur juvénile éclatait dans ses drames. Lorsqu’il publia les Brigands, la première page portait une vignette représentant un lion couché, avec ces mots : In tyrannos. La Conjuration de Fiesque est appelée par son auteur « drame républicain. » L’influence de Rousseau, la lecture de Plutarque et de l’antiquité classique, le spectacle des cantons démocratiques de la Suisse, tout contribuait à prêter un éclat extraordinaire à l’idée de la liberté politique. Plus les Allemands en étaient loin, plus elle leur apparaissait comme un idéal. Ils l’adoraient avec ferveur, et leur foi était sincère, quoiqu’elle n’agît point. Mais, de toute nécessité, leur enthousiasme devait rester littéraire. Comment infuser l’esprit républicain de la cité antique aux serfs de la Poméranie ou aux sujets de l’électeur de Mayence ? Comment le ranimer même dans les villes libres, dont la plupart auraient pu s’appeler plus justement des villes mortes ? Tout cela était tellement inoffensif, que les gouvernemens ne songeaient pas à s’en émouvoir. La censure laissait passer les déclamations les plus violentes contre les rois. Peu de temps avant la révolution, un journal de Berlin s’avisait d’enseigner sérieusement aux princes à mériter la reconnaissance éternelle de leurs peuples. Le moyen était simple : mettre, par une éducation virile et républicaine, leurs sujets en état de se passer d’eux ; puis quand cette éducation serait achevée, descendre du trône au milieu des bénédictions et de l’attendrissement universels.

Ces naïvetés, toutefois, ne doivent pas nous dissimuler un progrès dans les idées politiques. La génération précédente n’avait rien conçu au-delà du despotisme éclairé. Les philosophes, comme Wolff et ses disciples, les publicistes, comme J.-J. Moser et son fils, s’arrêtaient également à ce régime, où le prince exerce une autorité absolue, sans contrôle et sans contrepoids. Non qu’il puisse en conscience suivre ses caprices et dire : « l’état c’est moi. » Au contraire, ses devoirs s’étendent aussi loin que ses droits. Il n’est, lui aussi, qu’un serviteur, et, selon l’expression de Frédéric II, le