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insignifiantes, qui ne méritent ni l’attention d’aujourd’hui, ni le souvenir de demain? Nul ne les ignore, ces heures de lassitude esthétique, de lâcheté intellectuelle, où le café-concert ennuierait moins que l’Opéra, où, honteux et découragé de lui-même, l’esprit, se sentant vulgaire et plat, n’a plus le goût et presque le besoin que de la platitude et de la vulgarité.

Les théâtres d’ailleurs nous permettraient en ce moment un de ces accès de paresse : l’Opéra-Comique nous donne des Cigales madrilènes ; il est vrai qu’il nous promet l’Esclarmonde de M. Massenet. L’Opéra ne nous donne rien, et il est vrai aussi qu’il ne nous promet pas davantage. Ah! si, un ballet. Mais un ballet, fût-il de M. Ambroise Thomas, ce n’est guère.

A défaut des théâtres, nous avons les concerts. Sans parler des pianistes, dont le règne arrive tous les ans à pareille époque, que de séances musicales, depuis celles de la Société des instrumens à vent, qui sont toujours délicieuses, jusqu’à celles de la Société nationale, qui sont souvent intéressantes, mais qui peuvent être le contraire aussi!

Le grand public connaît à peine la Société nationale, que nous-même avant cette année connaissions de nom seulement. Elle a été fondée, en 1871, par M. Saint-Saëns et M. Romain Bussine pour favoriser le développement de la musique française et permettre aux jeunes compositeurs d’entendre et de faire entendre leurs œuvres, surtout les œuvres instrumentales. Autour de MM. Saint-Saëns et Bussine se groupèrent des musiciens comme MM. César Franck, E. Lalo, G. Bizet, A. de Castillon, G. Fauré, H. Duparc, V. d’Indy et bien d’autres. « En dix-sept années d’existence, dit un petit programme que nous avons sous les yeux, la Société nationale a donné plus de six cents premières auditions françaises et elle pourrait citer avec orgueil nombre d’œuvres, qui, bien avant de triompher devant le public des grands concerts, avaient été exécutées pour la première fois dans ses séances intimes.

« De plus, afin que ses sociétaires puissent se rendre compte du mouvement général de l’art, elle leur a présenté des productions étrangères modernes d’un intérêt réel, pour la plupart encore inconnues en France, ainsi que d’importans fragmens des chefs-d’œuvre de Bach, de Rameau, de Gluck, rétablis selon les textes originaux, et que l’on n’a presque jamais l’occasion d’entendre à Paris. »

Tout cela est très vrai et tout cela est très bien. La Société nationale a mis en lumière des compositeurs qui sans elle risquaient de rester dans l’ombre; elle en aidera d’autres encore, je le gage, et les fera réussir. Elle s’intéresse aussi et nous intéresse à de vieilles et magnifiques œuvres dont elle conserve et tâche d’entretenir le culte: par exemple, elle a fait exécuter récemment une cantate de Bach et tout le troisième acte d’Armide. Rien de mieux! Gardienne du passé et messagère