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plus intéressans par eux-mêmes que ceux de M. Franck) passent par des métamorphoses de rythme, d’harmonie et d’instrumentation si variées, si inattendues, qu’on en demeure presque émerveillé. M. Franck est loin de cette abondance et de cet éclat, et ce qu’il prend pour l’unité et la cohésion pourrait bien n’être (pic sécheresse et pauvreté.

Que M. Franck soit aimé, flatté même par des élèves respectueux et reconnaissans, rien de plus naturel; que l’intégrité artistique de sa vie. la sincérité de ses convictions, la science et l’expérience sans lesquelles ne s’élaborent pas des œuvres sérieuses et malaisées comme les siennes, que ces titres nombreux et d’autres encore lui méritent quelque déférence et certains ménagemens, cela ne fait doute pour personne. Mais on ne saurait rien accorder de plus. Aujourd’hui du moins, car les avancés de la musique espèrent en l’avenir et nous attendent. On finira, disent-ils, par les rejoindre là-bas, là-bas. Qui sait? L’étape est lointaine, mais on ne va pas à Damas en un jour, et la prudence nous défend peut-être de dire : Je ne boirai pas de ton eau, fût-ce à la plus trouble des fontaines.

Après le maître, le disciple; après M. César Franck. M. Vincent d’Indy. Ainsi le veut l’ordre des âges, qui n’est pas ici celui des talens. Commençons par reconnaître, et non pour la première fois, le très grand mérite de M. d’Indy ; nous serons plus à notre aise pour discuter ses tendances. M. d’Indy a composé une trilogie pour orchestre, servant de préface et de commentaire musical aux trois poèmes dramatiques de Schiller sur Wallenstein : le Camp, les Piccolomini et la Mort de Wallenstein. Rarement, je crois, un musicien a dépensé plus de talent, plus d’habileté, d’ingéniosité harmonique et orchestrale, consacré plus de volonté, de logique et d’énergie, à une charade symphonique aussi compliquée.

On pourrait la proposer ainsi : mon premier est le motif de la Guerre; mon second est le motif de Wallenstein, lequel se subdivise en deux figures rythmiques, attribuées, l’une à l’idée dominatrice du caractère de Wallenstein, l’autre à l’idée fatale qui plane sur l’œuvre entière. Mon troisième est le motif de Max; mon quatrième, le motif de Thécla; mon cinquième, le motif de l’influence mystérieuse des astres sur la destinée humaine ! Mon tout est le Wallenstein de M. d’Indy.

Ah ! le leitmotiv ! le leitmotiv ! Voilà donc où il nous a conduits ! On pouvait se flatter que Wagner eût poussé à ses dernières limites cette idée pleine à la fois de promesses et de menaces, de bienfaits et de périls; mais les wagnériens sont venus et les élèves ont dépassé le maître, non par le progrès du génie, mais par l’exagération et l’outrance du procédé. La vérité avant tout et malgré tout, la haine du convenu et de la formule voilà, n’est-ce pas. les dogmes du wagnérisme.