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dans sa propre maison, au centre ordinaire des abus et des sinécures, plus de parasites. Depuis les palefreniers el les marmitons jusqu’aux grands officiers du palais, jusqu’aux chambellans et dames d’honneur, tous ses domestiques, titrés ou non titrés, travaillent et font en personne leur pleine corvée manuelle, administrative ou décorative, de jour et de nuit, à l’heure dite, au plus juste prix, sans grappiller ni gaspiller. Son train et son apparat, aussi pompeux que dans l’ancienne monarchie, comportent les mêmes charges ordinaires et extraordinaires, écuries, bouche, chapelle, chasses, voyages, spectacles à domicile, renouvellement de l’argenterie et des meubles, entretien de douze palais ou châteaux. Mais, sous Louis XV, on calculait que « le café au lait, avec un petit pain pour chacune des dames d’atour, coûtait au roi 2,000 livres par an. » et, sous Louis XVI. « le grand bouillon de nuit et de jour » que buvait quelquefois Madame Royale, âgée de deux ans, figurait sur les comptes de l’année pour 5,201 livres[1]. Sous Napoléon, « dans les offices, dans les cuisines, la moindre chose, un simple bouillon, un verre d’eau sucrée n’aurait pas été distribué sans l’autorisation ou le bon du grand-maréchal Duroc. Tout abus est surveillé : les bénéfices des gens sont calculés et réglés d’avance[2]. » Par suite, tel voyage à Fontainebleau, qui coûtait à Louis XVI près de 2 millions, ne coûte à Napoléon, avec le même étalage de fêtes, que 150.000 francs, et la dépense totale de sa maison civile, au lieu de monter à 25 millions de livres, reste au-dessous de 3 millions de francs[3]. Ainsi le faste est égal, mais les frais sont dix fois moindres ; des gens et de l’argent. le nouveau maître sait tirer un rendement décuple : c’est qu’à tout homme qu’il emploie, à tout écu qu’il dépense, il fait suer toute sa valeur. Personne ne l’a surpassé dans l’art d’exploiter les écus et les hommes, et il est aussi habile, aussi soigneux, aussi âpre à se les procurer qu’à les exploiter.


II

A cet effet, dans la répartition des charges publiques et des emplois publics, il applique les maximes du droit nouveau, et il

  1. L’Ancien Régime. 167.
  2. Mme de Rémusat. Mémoires, III, 316, 317.
  3. De Beausset, Intérieur du palais de Napoléon, I, p. 9 et suivantes : pour l’année 1805, la dépense totale est de 2,338,167 francs ; pour l’année 1806, elle monte à 2,770,861 francs, parce que des fonds furent assignés « pour l’augmentation annuelle de l’argenterie, 1,000 assiettes d’argent et autres objets. » — « Napoléon savait, dès le premier jour de l’année, ce qu’il dépenserait (pour sa maison), et jamais personne n’eut osé dépasser les crédits qu’il avait ouverts. »