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saint Louis ; ils prétendent innover quand purement et simplement ils veulent restaurer le passé ; ils disent marcher en avant quand ils reculent. Il leur en coûte de proclamer que ce qui importe le plus à l’homme, le régime du travail, fut mieux réglé il y a cinq ou six siècles ou même huit siècles qu’aujourd’hui. Cet aveu cadrerait mal avec toutes leurs déclamations contre « cet âge d’ignorance et d’oppression. » Mais c’est là une pure hypocrisie de plagiaire qui veut paraître auteur original. Ceux d’entre les démocrates contemporains qui ne sont pas retenus par les ménagemens politiques parlent un langage plus net et plus explicite. Pour avoir la pensée exacte de la génération actuelle, il faut s’adresser aux hommes jeunes. Voici un docteur allemand qui, il y a six ans à peine, écrivait une thèse d’agrégation sur le célèbre Robertus-Jagetzow, précurseur de Karl Marx, et fondateur de ce que nos voisins appellent prétentieusement « le socialisme scientifique, » comme qui dirait l’astrologie scientifique ; ce docteur, M. Adler, publie dans une revue germanique importante : Annalen des deutschen Reiches für Geselzgebung, un travail sur « la protection internationale des travailleurs ; » il y énumère tous les maux dont souffre l’ouvrier contemporain et qui, parait-il, épargnaient l’ouvrier d’autrefois. Les regrets du moyen âge y apparaissent dès l’abord. Les barrières innombrables que le moyen âge avait opposées à l’intérêt mercantile, — nombre maximum d’ouvriers et d’apprentis (il faudrait dire aussi nombre de maîtres), prescription de l’espèce de marchandise à fabriquer (il faudrait ajouter et du mode de fabrication), achat collectif des matières premières, interdiction du travail la nuit et le dimanche, restrictions nombreuses à la concurrence par des prix minima (on devrait ajouter aussi par des prix maxima), par la prohibition de certains moyens de réclame, par les prix du marché, etc., toutes ces barrières sont tombées. Il en est résulté la concurrence sans frein de tous contre tous, ce fameux Struggle for life, dont on nous rebat impitoyablement les oreilles depuis un quart de siècle. On s’efforça, comme au temps jadis (car c’est la loi de l’humanité sous tous les régimes), de vendre au plus cher et d’acheter au meilleur compte, mais avec cette différence que tous les moyens étaient permis. On ne recula devant aucun. De toutes les marchandises engagées dans cette lutte sans merci, la principale est la marchandise-travail, la force humaine, la fameuse Arbeilskraft qui revient à chaque instant sous la plume de Karl Marx. Le grand effort de ceux qui ont besoin de cette marchandise si commune, si offerte, c’est de l’acheter au plus bas prix. Or il se rencontre que cette marchandise vile, que tous les acheteurs de travail cherchent à avilir de plus en plus, est, formée d’hommes, d’êtres semblables aux « employeurs, » de citoyens de