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y accomplit les mêmes besognes. Qu’importe? Les révoltes s’accumulent sur les mots, sur les hommes ; ou refait volontiers un nouveau bail avec les choses, dès qu’elles passent sous d’autres noms en d’autres mains.

Un second coup de théâtre réussit à souhait. Le « dictateur » abdiqua spontanément ; il demanda à l’empereur, au mois d’août, d’abroger la haute commission et de le décharger de son fardeau. Aux termes de l’ukase qui faisait droit à sa requête, le Président échangeait son titre d’exception contre l’appellation plus effacée de ministre de l’intérieur. Les services de haute police étaient subordonnés à son ministère. Bien entendu, ces modifications d’étiquettes n’enlevaient rien aux pouvoirs de l’homme nécessaire, pouvoirs attachés à sa personne, à son crédit sur l’esprit du souverain, et non à une qualification de fantaisie. Le public fut dupe d’une substitution de termes ; on crut à un apaisement des esprits qui permettait le retour à l’organisation régulière, on s’extasia sur le désintéressement et la modestie du ministre.

Tandis qu’il amusait les imaginations par ces changemens de décors, Loris nourrissait les espérances avec des études préliminaires qui semblaient annoncer les grandes réformes. Les commissions consultatives étaient à l’ordre du jour. Le régime défectueux des chemins de fer provoquait des plaintes nombreuses ; sa réorganisation fut confiée à une commission où l’on appela des ingénieurs, de grands industriels. La presse avait eu jusqu’alors le choix entre la censure préalable et une législation calquée sur notre décret de 1852; elle réclamait avec énergie une loi organique. Un comité de fonctionnaires, chargé d’élaborer cette loi, convoqua à ses séances des directeurs de journaux et reçut leurs dépositions. Chaque jour l’esprit inventif de Loris découvrait un nouveau dérivatif aux exigences du libéralisme. L’enquête sénatoriale fut un des plus efficaces. On choisit dans l’empire quatre grandes régions, on désigna quatre sénateurs parmi les plus capables ; on rédigea pour eux un questionnaire comprenant quarante-neuf articles, qui fournissaient le thème d’un examen général sur la condition du peuple et le fonctionnement de l’administration dans les provinces. Ces missi dominici partirent avec les plus larges pouvoirs inquisitoriaux et disciplinaires. L’enquête n’eut guère de résultats pratiques, sauf le déplacement de quelques fonctionnaires décriés ; mais les mémoires rapportés par ces hommes distingués demeurent des documens inappréciables pour l’étude de la Russie contemporaine.

Est-il nécessaire d’ajouter qu’on parlait beaucoup, dans les sphères officielles et dans les journaux, de décentralisation administrative, d’une extension d’attributions pour les conseils provinciaux? Nul n’ignore que partout et toujours, ces logogriphes politiques