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répond au nom de M. du Pontavice de Heussey. M. du Pontavice ne se fâchera pas, je l’espère, que l’on parle de lui comme il parle lui-même de M. Scherer et de M. Taine : — avec une désinvolture qui sent son gentilhomme de lettres, ou peut-être son provincial, — mais qu’en vérité ni ses nombreux travaux, ni son talent, ni l’éclat de son nom n’autorisent encore. Les opinions sont libres : mais, pour avoir rectifié l’insignifiante erreur qu’il aurait, nous dit-on, commise, en faisant de Wilkie Collins le beau-frère de Charles Dickens, on ne traite pas d’égal avec M. Scherer, et encore moins lui fait-on la leçon. En revanche, et après avoir écrit soi-même l’Inimitable Boz, on peut être assuré que l’on n’approchera jamais que de très loin l’auteur de l’Histoire de la littérature anglaise ; et il serait décent de laisser voir qu’on s’en doute. M. du Pontavice de Heussey, qui croit avoir découvert Dickens, n’a vraiment pas, si je puis ainsi dire, la découverte assez modeste ; et cela seul pourrait suffire à nous mal disposer pour lui. Mais la lecture attentive de son Inimitable Boz n’a pas modifié cette première impression ; et cette exagération de l’éloge ou du panégyrique serait capable de nous rendre injuste à notre tour pour Dickens lui-même, s’il fallait faire porter à un grand écrivain la responsabilité des maladresses de son biographe.

M. du Pontavice nous dira que son Étude n’était et ne veut être « qu’historique et anecdotique. » C’est au contraire l’intérêt de celle de M. Émile Hennequin que d’être d’abord et surtout « critique et scientifique. » Nos lecteurs se rappelleront-ils, à ce propos, qu’il n’y a pas encore un an nous leur parlions ici même de M. Émile Hennequin et de son premier livre un peu mêlé, un peu paradoxal, un peu obscur, mais d’ailleurs si curieux sur la Critique scientifique ? Il s’efforçait d’y démontrer : « qu’il y aurait entre les esprits des liens électifs plus libres et plus vivaces que cette longue communauté du sang, du sol, de l’idiome, de l’histoire et des mœurs qui paraît former et départager les peuples ; » et l’observation était bien simple, mais on ne l’avait pas encore faite. Son Étude sur Charles Dickens en est une application. Trop sévère d’ailleurs pour l’auteur de David Copperfield, injuste même si l’on veut, et d’autant plus qu’il se montre, dans ce même volume, trop favorable à celui des Frères Karamasof et des Souvenirs de la Maison des Morts, — qui n’est qu’un Dickens russe, plus mystique et plus exalté seulement cpie l’anglais, — M. Émile Hennequin n’en a pas moins mis en pleine lumière quelques-uns des défauts trop réels de Dickens. Mais ce qu’il a mieux fait voir encore, c’est précisément ce que les qualités prétendues locales de Dickens avaient au contraire d’universel ; que sous l’Anglais qu’il a l’air d’être, on trouve sans peine un romancier, je n’ose pas dire de tous les temps, — car l’avenir seul en décidera, — mais européen ; et un artiste ou un poète enfin dont les succès, la popularité singulière, et la réputation jusqu’ici persistante