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que par l’intervention secourable d’un député de bonne volonté. Tout cela se mêle à la veille de l’Exposition, dévoilant une fois de plus le trouble des esprits, l’incohérence d’une situation sans fixité, et tout cela n’a qu’une cause évidente, palpable : c’est que depuis longtemps on est sorti de l’ordre, nécessaire à tous les régimes, à la république comme à la monarchie. On s’est mis en dehors des plus simples conditions de gouvernement, des traditions de prudence et d’équité, des règles salutaires d’une administration prévoyante ; on est allé à l’aventure, au risque de se retrouver un jour ou l’autre en face d’un danger réel avec des pouvoirs affaiblis, des lois obscurcies ou altérées, avec des moyens de défense émoussés par les passions de parti.

C’est là le mal profond, invétéré, il n’y en a pas d’autre, ou du moins il est la source de tous les autres. Il faut bien se dire en effet que tout ce qui arrive aujourd’hui est le résultat d’une politique poursuivie avec la légèreté arrogante des partis qui ont plus de passions que de lumières. Si on en est venu à cette situation où l’on finit par ne plus se reconnaître, où l’instabilité est dans les institutions comme dans le gouvernement, c’est que depuis des années, par les usurpations de la chambre, par l’inertie ou la complicité des ministères, on s’est étudié à fausser tous les ressorts d’une constitution qu’on n’a su ni pratiquer ni défendre. Si le trouble moral et le dégoût qui en est la suite sont dans le pays, c’est qu’on s’est plu, par des lois de secte, par de puériles vexations, à jouer avec les traditions, les croyances, les habitudes, les intérêts des populations. Si les finances de la France sont dans un tel état que la chambre ose à peine y regarder et préfère laisser l’héritage des déficits à la chambre prochaine, c’est que depuis longtemps on s’est accoutumé à dépenser sans compter, à ne respecter ni règles ni garanties. On a mis l’arbitraire dans les affaires financières, et on vient de le voir ces jours derniers encore par un incident instructif qui a fini par devenir assez piquant. Il s’agissait de régler des budgets arriérés qui remontent à 1876, ni plus ni moins. On en était là l’autre jour, lorsqu’un député républicain, farouche gardien de la fortune publique, a cru découvrir dans un coin de budget un crédit de 6,000 francs que M. Buffet, président du conseil et ministre de l’intérieur en 1876, aurait dépensé sans autorisation. Du coup, la république était vengée des réactionnaires, M. Buffet était obligé de rendre 6,000 fr. au trésor, et on allait pour le moins pouvoir éteindre les déficits de deux et trois cents millions ! Malheureusement cette vigilance n’a pas été récompensée. Il s’est trouvé que ce n’était pas M. Buffet qui avait disposé du crédit, que c’était son successeur, M. Dufaure ; mais ce n’est pas tout, le révélateur des méfaits réactionnaires n’était pas au bout de ses succès. D’autres députes ont voulu aussitôt imiter un si bel exemple de sévérité, et ils n’ont eu qu’à ouvrir les rapports de la cour des comptes. On a découvert que la liquidation du budget de la