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que l’imprévu ne vienne encore une fois déranger tous les calculs, l’intention est évidente : on paraît décidé à laisser sommeiller les grandes questions, à ne pas prendre feu pour le premier incident venu qui pourrait se produire dans les Balkans ou sur quelque frontière occidentale. Il n’y a que peu de jours, le jeune empereur Guillaume II, recevant une adresse des corps de métiers à Berlin, déclarait que son premier devoir était de conserver la paix, et il a même ajouté que c’était la principale raison de ses grands voyages au lendemain de son avènement. Il a dit que, n’ayant pas l’expérience et l’autorité de son grand-père parmi les souverains, il avait voulu aller conquérir la confiance des gouvernemens pour s’en servir dans l’intérêt de la paix qu’il espérait maintenir « durant de longues années. » On veut la paix à Berlin ; on la veut sûrement à Saint-Pétersbourg, comme à Vienne, comme à Rome. Quant à la France, son exposition répond de ses intentions. Le printemps de 1889 peut venir quand il voudra : il a des chances d’être le moins agité, le plus pacifique des printemps que nous ayons connus depuis bien des années. C’est pour le moment tout ce qu’on peut demander de mieux, — pourvu que cela dure !

Quel est donc d’ailleurs le pays qui n’ait point aujourd’hui ses raisons de désirer la paix aussi longtemps que la fortune de l’Europe voudra le permettre ? Tous les pays ont leurs affaires, ils ne les font pas toujours aisément : témoin l’Autriche, qui a tant de peine à calmer l’agitation provoquée par la loi militaire en Hongrie ; témoin l’Angleterre qui, avec toute sa puissance, n’est point sans avoir des embarras sous lesquels le ministère de lord Salisbury commence à fléchir ; témoin l’Italie occupée à se débattre dans une crise financière qui peut devenir une crise politique. L’Allemagne elle-même, comme les autres, a peut-être des difficultés qui ne rendent pas plus commode la tâche du chancelier. L’Allemagne, à l’heure qu’il est, semble livrée à un certain mouvement de réaction intérieure qui se manifeste visiblement par les actes, par les tendances du gouvernement, et qui ne laisse pas de rencontrer une assez vive résistance dans les assemblées, dans l’opinion ; elle a aussi sa politique coloniale, cette question de Samoa pour laquelle va s’ouvrir ces jours-ci, à Berlin, une conférence où elle n’est pas du tout sure de s’entendre avec les États-Unis. L’Allemagne a quelques précautions à prendre avant d’aller plus loin dans ses aventures coloniales, et c’est là peut-être tout le secret du voyage énigmatique que le comte Herbert de Bismarck vient de faire en Angleterre, qui a été l’objet de bien des commentaires.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce voyage du comte Herbert de Bismarck à Londres est effectivement un incident assez inattendu après tout ce qui s’est passé depuis un an entre la famille impériale d’Allemagne et la famille royale d’Angleterre, après la brutale campagne