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qualités natives, des instincts judicieux et des avantages matériels inestimables, ils ont parfois penché du mauvais côté. Leur conduite offre des oscillations singulières, et l’on en est encore à se demander si la démocratie, l’ordre et la liberté peuvent subsister ensemble autrement que par un miracle d’équilibre.

La constitution de 1787 a fourni cent années de bons services, sans avaries graves ni modifications importantes. Établie tout d’une pièce chez le dernier venu des peuples modernes, elle est déjà la doyenne des constitutions écrites, régulièrement discutées et formulées. Car l’Angleterre et la Suisse sont gouvernées principalement par des institutions de droit coutumier et par des précédens qui ont formé jurisprudence politique. Les honnêtes constituais de Philadelphie avaient cru faire une œuvre exclusivement conservatrice et doutaient fort de sa durée ; ils ont fait un chef-d’œuvre d’élasticité, qui réalisa l’identité dans le changement par le système des adaptations successives.

Cet instrument complexe, pourvu de claviers et de jeux multiples, s’est prêté à moduler différais airs, avec variations et fugues très diverses, non exemptes de fausses notes et de discordances, au milieu desquelles cependant revient toujours le thème fondamental, que les wagnériens allemands appelleraient le leitmotiv conservateur. Cela tient-il à la perfection de l’instrument, docile sous tous les doigtés, ou aux traditions heureuses et aux aptitudes des habiles ou des audacieux, qui exécutent tour à tour leur musique particulière ?

Puis, comme pour apporter un nouveau trouble parmi les investigations de l’écrivain téméraire, perdu (bewildered) dans ce dédale d’innombrables phénomènes, et poursuivi par l’essaim des contradictions, voici venir à la traverse les fâcheux effets du gouvernement de parti, qui semble indispensable en république, et de la corruption, qui paraît non moins inévitable pour maintenir les partis et leur faire suivre une direction ou une autre. De quelle façon apprécier ces deux puissans dissolvans, devenus en même temps, par une étrange anomalie, des agens de cohésion nécessaires en l’espèce ?

Dans la confusion des idées et des choses se trouvent beaucoup de bons élémens, faussés par la forme et la pratique des institutions, par les exigences des intérêts, des personnes ou des partis ; il s’y rencontre presque autant de combinaisons et, de liassions mauvaises, redressées ou contenues tantôt par de sages dispositions constitutionnelles, tantôt par le seul bon sens du pays. Le bien l’emporte, puisque les Américains progressent et prospèrent. Comment et pourquoi ?