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carpet baggers du Nord. Ces aventuriers pillards, venus dans le Sud pour s’enrichir comme en pays conquis, n’avaient pas d’autre moyen d’existence que d’y fomenter les haines civiles. Bientôt cependant, l’altitude correcte et le loyalisme des anciens rebelles forcèrent le gouvernement central à mettre lui-même un terme à d’inutiles et injustes rigueurs.

En 1885, après un quart de siècle passé dans l’opposition, les démocrates furent rappelés au pouvoir avec M. Cleveland pour président. Ce changement, qui aurait pu présenter chez d’autres peuples le danger d’une crise révolutionnaire, s’opéra sans encombre et trompa les pronostics intéressés des politiciens du parti contraire. Loin d’user de représailles, les vaincus de la guerre civile, redevenus enfin les maîtres par la volonté du suffrage populaire, ne revinrent pas sur les conséquences de leur ancienne défaite. Ils ne profitèrent même pas de la victoire électorale pour chercher à se faire indemniser indirectement des ruines causées chez eux par l’article du quatorzième amendement, qui avait déclaré nulle toute la dette du Sud « contractée pour venir en aide à l’insurrection. » Les démocrates continuèrent d’ailleurs à payer les pensions innombrables, accordées aux vétérans plus ou moins authentiques des armées républicaines qui les avaient battus. Pour la première fois peut-être depuis Jackson, la doctrine du droit aux dépouilles ne fut pas brutalement appliquée. Le président démocrate garda bon nombre de fonctionnaires républicains, au risque de s’aliéner ses propres partisans et de compromettre par avance le succès d’une deuxième candidature en lui enlevant le précieux concours des forces administratives.

Tant de modération ne doit pas surprendre. Il ne s’agissait pas, en effet, d’un de ces partis de gauche qui, tout étonnes de se trouver au pouvoir, continuent d’y pratiquer les méthodes violentes de l’opposition radicale. Ceux-là « oppriment sans gouverner ; » les vrais conservateurs font l’inverse. La puissance nationale des États-Unis passait alors simplement d’une droite à l’autre ; les lignes et les tendances générales du conservatisme restaient fidèlement suivies. Comme les whiys et les tories d’Angleterre, les démocrates et les républicains d’Amérique sont deux partis de gouvernement : l’un en exercice, l’autre en expectative. Grâce à l’existence des deux droites américaines, dont chacune est toujours prête à recueillir l’héritage gouvernemental et politique de sa rivale, l’alternance des partis aux affaires publiques n’offre pas de péril sérieux, bien au contraire. Le pays a toujours deux cordes conservatrices à son are démocratique.