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Chicago et de Saint-Louis, les troupes fédérales purent être retirées aussitôt des états de Louisiane et de Caroline pour aller rétablir l’ordre dans les régions menacées ; aucun désordre ne se manifesta à Columbia ou à la Nouvelle-Orléans. Les chefs démocrates, frustrés par les républicains alors au pouvoir, auraient eu honte de profiter de la crise pour tenter quelque revanche au moyen d’une alliance plus ou moins hypocrite avec les grévistes et les révolutionnaires. « Le Sud vient de prouver son patriotisme, nous ne l’oublierons pas, » disait à ce propos le Times de New-York.

Dans les conventions électorales, organisées par l’initiative des partis, sans aucun caractère légal ou officiel, les Américains se montrent spécialement habiles à faire de l’ordre avec du désordre. Ces grandes assemblées populaires, dont les membres dépassent le nombre de huit cents, tandis que les spectateurs se comptent par milliers, ne sont nullement des cohues ingouvernables. L’ordre relatif y règne, et la discipline est habituellement maintenue. Un président, à l’autorité duquel se soumet l’assistance, dirige les débats d’après un règlement calqué sur celui de la chambre. On a soutenu non sans raison que ces séances publiques étaient « la parodie des institutions républicaines. » Les politiciens ont machiné la scène, et tiennent les fils des marionnettes qui l’occupent. Mais, arrêtés ou non à l’avance par les comités dirigeans, les choix des candidats et les termes des programmes sont soumis au vote général et finissent par être adoptés. Le parti entier les ratifiera plus tard au scrutin officiel, de sorte que la désignation est l’élection même, nomination is election. Cette représentation théâtrale de la souveraineté populaire se joue comme une pièce à tiroirs, d’où sort au dénoûment une réalité puissante, le gouvernement des États-Unis.

Jamais d’ailleurs les conventions nationales des deux grands partis n’ont présenté des agitateurs pour candidats à la présidence, ni inscrit dans leurs platforms des revendications radicales. Républicains et démocrates s’attaquent avec violence, et s’accusent réciproquement de tous les méfaits. Ni les uns ni les autres ne proposent des mesures subversives afin d’attirer les électeurs. Cette tactique n’aurait aucune chance de réussir.

C’est qu’en dehors des vastes cités urbaines où se sont concentrés les mauvais résidus de l’immigration étrangère, la nation reste conservatrice de tempérament, comme elle l’était d’origine et de tradition. Ses susceptibilités passagères ne l’empêchent pas de garder au fond du cœur un secret attachement pour les usages et les lois de l’ancienne métropole : « O Angleterre, malgré les défauts, nous t’aimons toujours… Quel est l’Américain digne de ce