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les sensations agréables que procure l’inspiration du protoxyde d’azote, qu’il avait désigné, pour ce motif, sous le nom de gaz hilarant. Ses expériences, répétées on Angleterre et sur le continent, y mirent à la mode les inhalations gazeuses ; mais on ne tarda pas à remplacer le protoxyde d’azote par les vapeurs de l’éther, qui se recommandait par sa limpidité, l’odeur suave qu’il exhale et sa volatilisation facile. L’habitude de le respirer à titre d’amusement se répandit dans les laboratoires de chimie et de physique, en Angleterre et aux États-Unis. Jackson y retrouva cette tradition en 1840, et c’est là ce qui le mit sur la voie de la belle découverte que nous lui devons.

Les médecins, en vérifiant sur eux-mêmes les faits avancés par leurs confrères de Boston, constatèrent, en même temps que l’insensibilité anesthésique, le charme incomparable de l’ivresse qui précède l’anéantissement de la conscience. Il en est bien peu, parmi ceux qui exerçaient à cette époque, qui n’aient cédé quelquefois à la tentation de la savourer de nouveau, soit pour échapper un instant aux soucis et aux ennuis professionnels, soit pour oublier quelque chagrin cuisant, ou pour se débarrasser momentanément d’une douleur trop vive. Quelques-uns d’entre eux en ont conservé l’habitude. Du corps médical, elle a passé à ceux qui l’assistent. Le goût de l’éther a fait des prosélytes dans les rangs des sages-femmes, des infirmières, des garde-malades. Puis est venu le tour des névropathes auxquels les médecins en ont révélé le secret en y recourant pour combattre chez eux des attaques d’asthme, de dyspnée cardiaque, d’hystérie, etc.

Aujourd’hui le nombre des éthéromanes est assez considérable ; on les reconnaît à l’odeur qu’ils exhalent, car il n’en est pas de plus persistante, ni de plus caractéristique. On pourrait suivre à la trace celui qui vient de respirer de l’éther.

Les gens qui en font abus et qui se maintiennent sous son influence d’une manière persistante ont une physionomie spéciale. Ce n’est pas l’air abruti, l’œil atone des alcooliques, c’est une sorte d’excitation bizarre, une mobilité extrême dans les idées, comme si la pensée était ailleurs. Ils perdent peu à peu l’aptitude aux travaux de l’esprit ; leurs facultés diminuent, en même temps que surviennent les troubles nerveux et que l’appétit disparait. Il en est chez lesquels la passion de l’éther finit par dépasser toute mesure et qui arrivent à en consommer des quantités invraisemblables, lorsqu’ils peuvent se les procurer. Tel était le cas de ce jeune Anglais dont le docteur Ewald a rapporté l’observation et qui s’en allait par les rues, un mouchoir imbibé d’éther sur la bouche, errant de pharmacie en pharmacie, pour tâcher d’obtenir de nouvelles doses de son liquide favori. Repoussé des officines, chassé