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fonds d’or et maintes gaucheries, les Scènes de la vie de Marie sont les modèles d’un genre charmant, à mi-chemin de l’idéalisme de Cologne et du réalisme des Pays-Bas. L’élément mystique n’a pas encore disparu : souvent même une volée de petits anges, une jeune figure de vierge aux yeux baissés, évoquent, parmi ces scènes si « vantes, le souvenir de maître Lochner.

Il nous faudrait citer encore d’autres peintres anonymes de Cologne, également soumis à l’influence flamande, et qui ont su transformer l’art qu’ils imitaient en lui infusant une vie de sentiment tout allemande. Mais ni le maître de Liesborn, ni le maître de Saint Séverin n’ont eu, dans l’histoire de l’art allemand, une importance comparable à celle d’un peintre de Colmar, Martin Schongauer.

A l’inverse de Lochner, celui-là est parti de l’imitation des Flamands, et c’est par degrés qu’il s’est dégagé de toute influence étrangère pour devenir un peintre essentiellement original. Tout le destinait à être un imitateur des Flamands. A Colmar, où il était né vers 1450, il avait eu pour maître Gaspard Isenmann, dont les tableaux dénotent une connaissance marquée de la technique flamande et un goût du réalisme à la façon de Rogier, mais tourné déjà à la caricature. Au sortir de sa ville natale, le jeune Schongauer est allé lui-même en Flandre : il a étudié chez les élèves de Rogier, et ses premiers ouvrages, lorsqu’il est revenu à Colmar, ont été des pastiches de ce maître[1].

Mais quelques années suffisent pour éveiller en lui le besoin d’une peinture plus émue. Déjà l’influence de Rogier s’est fort effacée dans les Scènes de la Passion du musée de Colmar. Non-seulement tous les personnages ont des types allemands, mais il y a entre eux une liaison morale, une unité de pensée et de souffrance qui met certains des tableaux de Colmar, notamment la Mise au tombeau, bien au-dessus des peintures de Rogier. Et nulle trace de caricature : une étude consciencieuse, parfaite, des sentimens et de leur traduction corporelle.

L’âme de Schongauer était trop sentimentale pour s’en tenir même à ce réalisme. Il a voulu, dans ses dernières œuvres, tirer, lui aussi, des figures allemandes ce qu’elles contenaient d’idéal et de poésie. Il n’est pas arrivé, comme les maîtres de Cologne, à une véritable beauté plastique, mais il a créé des types de femmes infiniment séduisans et jolis. Deux vierges, à Munich et à Vienne,

  1. Citons, parmi ces premiers tableaux de Schongauer la grande Vierge au buisson de roses de Colmar et une petite Vierge du Salon Carré, au Louvre, attribuée par le catalogue à Rogier Van der Veyden (n° 697).