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paroisses, les anciens curés étaient chassés comme réfractaires, et on n’en pouvait trouver de nouveaux. Ceux qui se laissaient élire étaient l’objet de l’hostilité générale. La foule est toujours la foule, et qu’elle soit animée par l’esprit religieux ou par l’esprit révolutionnaire, ses manifestations sont rarement pures de toute violence. Il n’est sorte d’injures ou de mauvais traitemens dont ne fussent accablés les intrus. De vieilles ouvrières, qui avaient traversé la révolution, répétaient encore, dans mon enfance, des chansons ordurières contre l’évêque constitutionnel de la Vendée. On chansonnait l’évêque ; on maltraitait ses prêtres. La plupart s’enfuyaient des villages, où leur vie n’était pas en sûreté, et se réfugiaient dans les villes, ou ils n’échappaient pas aux insultes, mais où ils trouvaient du moins des adhérens et des défenseurs.

La révolte pour cause religieuse fut, en quelque sorte, permanente dans tout l’Ouest, de 1791 à 1793, jusqu’au jour où éclata, dans son ensemble, l’insurrection Vendéenne. Elle fut entretenue par les ennemis déclarés de la révolution : ils étaient dans leur rôle. La noblesse et la bourgeoisie comptaient peu de dévots, parmi ceux mêmes qui restaient attachés à l’ancien régime : il y eut bientôt, dans ce que nous appelons les « classes dirigeantes, » une émulation de dévotion. Les uns se rapprochaient des prêtres réfractaires ; les autres étaient assidus au culte des intrus. Les premiers, par leur présence, par leurs exhortations, encourageaient la rébellion et préparaient déjà la coalition des résistances locales. Ils étaient ardemment secondés par les prêtres dépossédés. Si quelques-uns ne cherchèrent que le martyre, beaucoup semèrent, ouvertement ou en secret, l’esprit de révolte. Ceux-ci encore étaient dans leur rôle ou plutôt dans leur devoir ; car on ne peut demander, même à des prêtres, la résignation inerte à des actes qui menacent les plus précieux intérêts des consciences. Il y a eu, avant et pendant la guerre civile, des actes criminels commis ou provoqués par des prêtres (j’en sais une victime dans ma propre famille) ; ils ont leur part de responsabilité dans certains massacres, généraux ou individuels ; il y eut parmi eux des « fanatiques, » il y eut aussi des intrigans ; mais beaucoup de ceux dont le rôle a été le plus actif étaient animés par le pur zèle de la foi.

L’attachement au clergé proscrit est le sentiment dominant chez les populations soulevées, dans la Haute et dans la Basse-Vendée, pendant toute la durée de la guerre civile. Les meneurs voulaient un roi, mais les paysans réclamaient surtout leurs « bons prêtres. » Un des premiers insurgés qui furent arrêtés et amenés à Angers, le laboureur Peltier, déclare, dans son interrogatoire, que « le motif du rassemblement n’a pour objet que le retour des bons prêtres, et il serait lui-même bien content s’il les voyait revenir, et il