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Je suis, je l’avoue, plein d’indulgence pour les révoltes provoquées par la persécution religieuse : je ne saurais l’être pour une guerre civile dont le mobile décisif a été le refus de défendre la patrie contre l’invasion étrangère. Il faut sans doute faire la part de l’ignorance parmi les masses, de la passion politique et de ses griefs plus ou moins fondés chez les chefs. Il faut tenir compte aussi de la différence des temps. Le patriotisme ne tenait pas pour tous le même langage en 1793 que de nos jours. En fanatisme aveugle ou de mauvaise foi prétend seul aujourd’hui professer, à l’égard des armées vendéennes, des sentimens pareils à ceux qui eussent flétri unanimement, en 1870 et 1871, non-seulement toute entente avec l’ennemi pour le rétablissement de l’empire ou de la royauté, mais toute résistance au devoir militaire. La flétrissure absolue serait excessive : la justification, à plus forte raison la glorification, est immorale. La juste mesure se trouve dans le jugement que portait naguère ici même un prince français sur une faute du même genre dans l’histoire de sa famille : « Toute tyrannie est haïssable. L’homme de bien a le devoir de protester à tout risque contre l’acte tyrannique qui, dans sa personne, atteint le public, de lutter même si, au péril de sa vie, il peut mettre un terme à l’oppression de tous ! Il n’a pas le droit de troubler sa patrie, de la déchirer, d’y porter la guerre pour venger une offense personnelle. » J’ajouterais seulement, et je croirais rester fidèle à la pensée de l’auteur : « pas même pour venger un grief général, si la guerre civile, se rencontrant avec la guerre étrangère, peut mettre en danger l’existence de la patrie. » Et je dirais encore, avec M. le duc d’Aumale : « Non, quoi qu’on dise, la France n’est pas née d’hier, et ce n’est pas d’hier seulement que nos pères ont commencé de l’aimer et de la servir. Lisez les harangues de d’Aubray dans la Satire Ménippée ou l’Histoire universelle de d’Aubigné. Et lorsque, aux heures obscures, les regards inquiets cherchent un phare dans l’ombre, quand les courages s’égarent et que les caractères s’effacent, écoutons ces voix désolées qui, après cent ans de guerre, oubliaient Bourgogne et Armagnac pour se rallier au cri de : Vive la France[1] ! »

Je ne saurais absoudre une guerre civile qui, non seulement s’est faite au cours d’une guerre étrangère, mais qui a eu pour un de ses mobiles le refus de concourir à la défense de la patrie ; je ne puis davantage pardonner à la révolution d’avoir fourni à la guerre civile un autre motif, infiniment plus respectable : la résistance à l’oppression des consciences. « Quelle sagesse, s’écrie M. Célestin Port, lorsqu’il expose les premiers signes de

  1. De Lens à Vincennes, par M. le duc d’Aumale. (Revue du 15 juin 1888.)