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n’est pas le démontrer, et c’est risquer de laisser le lecteur à mi-chemin, à savoir dans la conception d’un Dieu méchant ou indifférent. Défions-nous de ces chemins qui sont promenades divertissantes ou peut-être gageures de beaux esprits. Mais s’il y a une idée que, seul, le christianisme ait eue, prouvons qu’elle est vraie et nécessaire, et le christianisme, le vrai christianisme, et non pas un christianisme approximatif et superficiel, est rétabli.

Cette idée existe, c’est l’idée de création. Les païens ne l’ont pas, les matérialistes ne l’ont pas, les déistes ne l’ont pas, les chrétiens modernes, artistes, hommes du monde, beaux prédicateurs eux-mêmes, sont très loin de l’avoir. Les païens voient une matière éternelle, un artiste puissant qui l’a organisée et des êtres supérieurs capricieux qui l’agitent un peu çà et là. Les matérialistes voient une matière éternelle douée de forces inhérentes et intimes qui l’agitent et la transforment, d’une manière assez régulière. Le déiste, cet homme « qui n’a pas vécu assez longtemps pour devenir athée, » croit-il une sorte de Dieu constitutionnel, qui a créé, il est vrai, mais il y a bien longtemps, et qui regarde son œuvre marcher toute seule, à moins que, même, il ne la regarde pas. La création n’est pour le déiste qu’un moment très éloigné, et un premier acte réduit à son minimum. Dieu a créé la matière et l’a douée des forces qui la meuvent ; et ensuite ces forces ont indéfiniment suffi à l’évolution de l’univers. De là à supprimer Dieu et à dire que cette matière douée de ces forces n’a pas eu de commencement, il n’y a qu’un pas ; il suffit de reculer indéfiniment le point de départ. Quand le déiste réfléchit, il s’aperçoit qu’il n’a pas besoin de Dieu et il laisse tomber ce dernier reste qu’il avait en lui, par hérédité, éducation, ou bonne éducation, de conception théologique. Le chrétien moderne lui-même croit à la création, mais n’y songe pas. Le chrétien moderne n’est pas philosophe chrétien. Il ne réfléchit pus à ce qu’il y a dans l’idée de création. Il ne songe pas que cela veut dire : au commencement il y a Dieu, et rien. L’idée de ce « lien » s’est obscurcie. De ce que le monde est vieux, je ne sais quelle demi-idée, je ne sais quel demi-sentiment qu’il est à peu près éternel se glisse et se mêle dans la pensée du chrétien inattentif. Du moins ce chrétien ne laisse pas d’avoir quelque peine à se figurer le pur rien, C’est l’idée du rien qu’il faut rétablir et restaurer pour y ramener le chrétien et en faire un chrétien solide, pour y ramener le déiste et en faire un chrétien.

Voilà pourquoi de Bonald prodigue, en quelque sorte, cette idée du rien. Il ne voit que création dans l’univers, que rien devenant quelque chose parce que Dieu le veut. D’une part, il dissipe cette illusion, née de l’histoire et de l’histoire naturelle, ses deux