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pathétiques, pénètre et serre le cœur. Cependant il s’en faut bien que le meilleur des romans de Jean-Paul soit un ouvrage parfait. Pourquoi, dans cette mort de l’affection conjugale, qui devrait s’effectuer d’elle-même lentement, naturellement, Lenette trouve-t-elle un complice et un consolateur sous la forme d’un membre du conseil des écoles, pendant que Firmian, de son côté, rencontre, pour lui faire oublier sa femme, une grande dame qui aime la littérature? Le jeu de ces ressorts extérieurs et vulgaires, l’amant, la maîtresse, nous gâte ce que l’idée, réduite à ses premiers élémens, avait d’intéressant et de distingué dans sa simplicité. Il semble qu’il y avait un moyen facile de donner au Siebenkäs une conclusion heureuse : c’était de montrer, par une douce revanche, la poésie réelle du foyer l’emportant à la fin sur celle qui n’est qu’une forme et qu’un songe littéraire, idée juste et morale dont l’auteur des Récits villageois de la Forêt-Noire s’inspirera plus tard dans la Frau Professorin.

Le voyage de l’aumônier Schmelze (1809), analysé par Philarète Chasles, est un développement assez amusant de cette vérité, que l’abus de la réflexion paralyse l’action et que la science multiplie pour l’homme les raisons de douter et de craindre. Attila Schmelze n’est point un lâche de sa nature, mais il a si souvent arrêté sa pensée sur les causes de destruction qui nous environnent de toutes parts, qu’il n’ose plus faire un pas sans se croire en danger de mort. Le docteur Kaizenberg est d’un comique un peu gros et même un peu gras ; Jean-Paul ne haïssait pas les mots crus, il les recherchait même, pour deux raisons : d’abord, parce qu’ils sont une partie essentielle du vocabulaire de l’humour, dont la frénésie « anéantissante » se réjouit surtout d’anéantir nos vaines conventions, et le décorum en est une; ensuite, parce qu’il avait remarqué que les personnes vouées à l’état ecclésiastique, le curé Rabelais, le doyen Swift, le pasteur Sterne, se plaisent généralement dans le cynisme du langage. Fils de pasteur, il n’a pas voulu rester en arrière de ces grands modèles; mais les incongruités et les gravelures ne sont sous sa plume qu’une imitation littéraire et jurent un peu avec la profonde pureté de ses mœurs. Mentionnons au moins la Vie de Fibel (1812) et la Comète ou Nicolas Margraf, histoire comique en trois volumes, qui parurent de 1820 à 1822; mais arrêtons-nous, en terminant, sur deux ouvrages didactiques, un traité d’éducation intitulé : Levana, que Mme Jules Favre a traduit en partie, et une Poétique ou Introduction à l’esthétique, dont MM. Alexandre Büchner et Léon Dumont nous ont donné une excellente traduction complète.

Ces deux ouvrages sont probablement ceux qui conserveront le plus de lecteurs dans l’avenir, par la bonne raison que Jean-Paul,