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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/207

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nettement ce qu’ils voulaient dire. Les lettres de M. Thouvenel, rapidement écrites, et sans prétentions, ont toujours du caractère et du mordant; celles de M. de Gramont, plus composées, ont quelquefois une grande allure. Les unes comme les autres sont fort curieuses; on y trouve de ces mots qui résument une situation et sont dignes de rester.

Le principal et très grand intérêt de cette correspondance est qu’on y suit jour par jour, dans tous ses épisodes, l’histoire parfois tragique, parfois presque comique d’une entreprise désespérée, des vaines tentatives du gouvernement impérial pour ménager un accord entre le saint-siège et la maison de Savoie, pour concilier des prétentions inconciliables, pour résoudre le plus insoluble des problèmes. Depuis le 3 juillet 1849, la France entretenait un corps d’occupation à Rome à la seule fin de garder le pape et de le défendre contre la révolution. D’autre part, on avait fait en 1859 une campagne sanglante et coûteuse contre l’Autriche pour affranchir l’Italie, et les peuples d’Italie disaient ou semblaient dire qu’ils ne pouvaient faire un meilleur usage de leur liberté qu’en s’unissant sous le sceptre de Victor-Emmanuel. Depuis onze ans on protégeait le pape; depuis un an, on protégeait dans la péninsule le principe des nationalités. On avait ainsi deux cliens, et ces deux, cliens ne pouvaient s’entendre. Sous peine d’être à jamais en désaccord avec soi-même, il fallait obtenir qu’ils consentissent à transiger ; c’est à quoi on ne pouvait parvenir.

Napoléon III ne se lassait pas de répéter qu’il avait également à cœur l’indépendance comme le bonheur des Italiens et le maintien de l’autorité temporelle du saint-père, qu’il entendait « consacrer l’alliance de la religion et de la liberté. » Mais Victor-Emmanuel pensait ne pouvoir être un vrai roi d’Italie sans ôter au pape tous ses états, ou peu s’en fallait. Feuille après feuille il dépouillait l’artichaut; il avait déjà pris les Légations, les Romagnes ; il allait prendre les Marches et l’Ombrie, et on pouvait prévoir qu’un jour saint Pierre perdrait jusqu’à son patrimoine, jusqu’à sa Comarca. Le pape, de son côté, accusait le roi de Piémont, qui s’emparait de son bien, de violer impudemment le droit des gens, de fouler aux pieds l’a sainte justice. Il déclarait qu’un souverain pontife sans états ne peut exercer librement le pouvoir spirituel confié par Jésus-Christ à son vicaire, et il représentait sans cesse à Napoléon III qu’on ne pouvait être à la fois l’ami du pape et des Italiens. « l’empereur, écrivait M. Thouvenel le 24 mai 1862, rêve toujours un mariage impossible... Dieu sait seul à quelle époque il y aura assez de lassitude et de sagesse dans les esprits pour proposer une solution ne donnant gain de cause aux passions d’aucun parti. »

Les deux causes étaient inconciliables, et le caractère des deux plaideurs ajoutait aux difficultés. C’était une laborieuse entreprise que de traiter avec le pape Pie IX. A toutes les époques de l’histoire de l’église,