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défaut. « J’ai répété que l’empereur ne serait jamais le spoliateur du pape. Je l’ai dit au pape et à ses ministres, je l’ai dit aux peuples de Bologne et de Rome, je l’ai dit aux chefs du gouvernement bolonais, à tout le corps diplomatique. » Que de surprises désagréables lui étaient réservées !

A quelque temps de là, les Piémontais envahissent les Marches et l’Ombrie, et M. de Gramont donne au pape l’assurance que l’empereur les obligera de lâcher leur proie. effectivement, l’empereur se décide à rompre ses relations diplomatiques avec le roi de Sardaigne et ordonne au baron de Talleyrand de quitter incontinent Turin. Mais bientôt le duc apprend par une correspondance colportée dans les rues de Rome que son souverain, qui venait de visiter la Savoie avant de se rendre en Algérie, avait rencontré à Chambéry M. Farini et l’avait assuré « que, pourvu qu’on laissât le pape à Rome, il autorisait volontiers le Piémont à s’annexer tout le reste des états pontificaux. » M. de Gramont apprend aussi que le rappel de M. de Talleyrand n’a fait aucune impression sur les Piémontais, que ce départ faisait partie d’une mise en scène concertée d’avance. — « Comment pouvez-vous vous avancer de la sorte ? disait un Français au général Cialdini. La France saura vous arrêter. — La France! L’empereur! répondit le général. Mais vous croyez donc que nous aurions été assez fous pour nous engager dans cette affaire sans être sûrs d’être approuvés ! Non-seulement l’empereur ne s’opposera pas à notre marche, il l’approuve, je vous en donne ma parole d’honneur. Il me l’a dit lui-même à Chambéry, et quand M. Farini et moi l’avons quitté, voici ses dernières paroles : « Bonne chance ! faites vite ! » c’est pour lui obéir que nous faisons vite ! » Et quelques heures plus tard, le général disait au prince de Ligne: « Vous prenez donc au sérieux les articles du Moniteur et les dépêches de Thouvenel ! Vous devriez savoir depuis longtemps que tout se décide entre Cavour et l’empereur. Il est plus Italien que Français. « 

M. de Gramont n’était pas au bout de ses étonnemens. A la plus grande joie des libéraux italiens et du cabinet anglais, le pape, se sentant trahi, forme un instant le projet de partir, de s’exiler de Rome. L’ambassadeur de France, sûr d’entrer dans la pensée de son gouvernement, « rctieni le pontife par sa soutane. » Il fait plus, il trouve le moyen de faire démonter secrètement la machine de la corvette qui devait l’emmener. Bientôt il lui revient que l’empereur regardait ce départ préparé comme un heureux incident, comme une manière de solution, et, en effet. le 17 novembre 1860, le comte Horace de Viel-Castel écrivait dans son journal : « L’empereur disait il y a cinq jours : Le pape témoigne de nouveau l’intention de quitter Rome: je voudrais que la chose fût faite, cela avancerait bien les affaires. » Quelques